Procès Samuel Paty : « J’ai détruit votre vie… » Les excuses de la collégienne qui ne « gérait » plus son mensonge
A la cour d’assises spécialement composée,
De longs cheveux noirs, une queue-de-cheval, le teint hâlé, un haut blanc, un gilet noir, une jupe plissée. Zohra* C. triture ses mains, posées sur le pupitre devant elle. « Vous connaissez évidemment l’un des accusés, qui est votre père, et vous avez été mis en cause dans cette affaire et condamnée par le tribunal pour enfants », rappelle le président de la cour d’assises spécialement constituée, Franck Zientara. Cette adolescente à l’air timide, aujourd’hui âgée de 17 ans, a écopé en décembre 2023 de 18 mois de sursis probatoire pour dénonciation calomnieuse. Un an plus tard, celle qui a déclenché la polémique fatale à Samuel Paty, en mentant au sujet du déroulement de l’un de ses cours, est « entendue à titre de simple renseignement », lui rappelle le magistrat. « Ce qui ne vous interdit pas de parler avec franchise. »
« Je vais commencer par le lundi », souffle cette lycéenne scolarisée en Terminale. A l’époque, elle était encore au collège, en classe de 4e. Ce jour-là, elle est exclue du cours par son professeur d’Histoire-géographie. « Je n’étais pas insolente mais je posais des questions sans lever la main », raconte-t-elle. Le lendemain, le jour où Samuel Paty présente à ses élèves des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours d’éducation morale et civique, elle est absente. « J’avais mes menstruations. » Mais « deux filles » de sa classe lui ont confié avoir été « choquées ».
Le mercredi, elle prend le bus avec des copines lorsqu’elle reçoit un appel de sa mère, « furieuse ». « Elle m’a demandé pourquoi j’avais été exclue. Sous le coup de la panique et du stress, je lui ai dit que j’avais été à un cours et que j’étais pas d’accord, que je suis sortie, que le prof m’a exclue et qu’on a vu des caricatures… »
« Tout le monde me croyait finalement »
Pourquoi a-t-elle menti ? « J’avais peur de décevoir mes parents en disant que j’avais vraiment été exclue parce que je faisais plein de conneries, assure-t-elle, ajoutant qu’il lui arrivait de leur cacher son carnet de correspondance. Je sais que, pour eux, la scolarité, c’est très important. » Son père « dit qu’il faut tout le temps respecter les professeurs, même si on a tort ». Mais l’affaire prend une terrible tournure lorsque Brahim Chnina lui présente Abdelhakim Sefrioui, un militant islamiste franco-marocain. Selon elle, ce dernier lui a d’abord affirmé être « journaliste ». La collégienne accepte d’être filmée à condition qu’on ne voit pas son visage. « J’ai réitéré mon mensonge en disant que j’avais vécu ça », raconte-t-elle.
Le soir, son père voit qu’elle n’est « pas bien ». « Il m’a dit : « si tu veux, on peut aller porter plainte ». J’ai dit OK. » La policière qui la reçoit lui aurait proposé de préciser que les caricatures montrées par Samuel Paty étaient « pornographiques, pour que ça aille plus vite ». Contre l’avis de son père qui, précise-t-elle, voulait simplement dénoncer une « discrimination ».
C’est ensuite devant la principale du collège, Audrey F., qu’elle répète sa version – inventée – des faits. « Je me suis dit que quelqu’un allait m’arrêter dans mon mensonge. Personne ne m’a dit que je n’étais pas au cours. Je me suis dit que mon mensonge tenait, que tout le monde me croyait finalement. Je ne gérais plus mon mensonge. » « Même devant la psy », rencontrée à la demande de son père, la jeune fille n’arrive pas à dire la vérité. « Il n’y avait que moi-même qui savais que je mentais, je n’étais pas bien. »
Le jour de l’assassinat de Samuel Paty, une dizaine de jours après le fameux cours, Zohra était absente du collège, ayant été exclue deux jours. Elle a appris, en regardant BFMTV, « qu’un prof était mort à Conflans ». Elle s’est « effondrée » dans les bras de sa mère. Ses parents décident de l’envoyer chez sa belle-sœur. « Pendant le trajet, on m’a envoyé la photo de M. Paty décapité, raconte-t-elle. J’ai jeté mon téléphone dans la voiture. »
Des excuses « dures à entendre »
« Avez-vous autre chose à préciser ? » lui demande le président. Après un long silence, la jeune fille reprend. « Je n’ai pas pu bien le faire il y a un an, mais j’aimerais m’excuser auprès de la famille [de la victime] », lance-t-elle. « Je sais que mes excuses sont dures à entendre mais je tenais vraiment à m’excuser sincèrement, je suis désolée d’avoir détruit votre vie. »
Les larmes coulent sur ses joues. Elle demande pardon aussi à sa famille, « aux personnes qui sont dans le box » des accusés, à son père dont elle a profité de la « naïveté » et de la « gentillesse ». « S’il a fait une vidéo, c’est à cause de mon mensonge. » « Par quoi était-il choqué ? » l’interroge Franck Zientara. « C’est qu’on ait dit aux musulmans de sortir alors que pour lui il devait faire cours pour tout le monde. » « Vous êtes sûre que c’est ça ? C’est pas de montrer le prophète accroupi nu ? » relance le magistrat. « Ce qui choquait mon père, c’était la discrimination, pas la caricature. »
« Sans mon mensonge, il n’y aurait jamais eu tout ça »
Zohra C. finira par lâcher la vérité en garde à vue, après 30 heures d’auditions. « Non », assure-t-elle, l’adolescente n’a jamais pensé que son mensonge pourrait avoir des conséquences aussi dramatiques. Elle voulait juste « couvrir [s] es exclusions ». « Je ne peux en vouloir qu’à moi-même. Sans mon mensonge, il n’y aurait jamais eu tout ça. » Elle est allée « beaucoup trop loin », reconnaît-elle. Mais elle était dans un « engrenage » et ne savait pas comment se « sortir » de cette situation. « Aujourd’hui, si une personne doit être condamnée, ce ne sont pas les personnes dans le box mais moi. »
Notre dossier sur l’affaire Paty
Me Virginie Le Roy, l’avocate de la famille Paty, rappelle qu’elle avait l’interdiction de rentrer en contact avec son père lorsqu’elle était sous contrôle judiciaire. Ce qu’elle a pourtant fait. « Il me manquait », souffle Zohra. « Ces contacts n’étaient pas qu’affectifs, estime la pénaliste. Il s’agissait aussi de préparer votre défense pénale. » Me Szpiner, l’avocat de l’ex-femme de Samuel Paty et de leur fils, se demande si la jeune fille, en s’accablant, ne tente pas de « faire en sorte que la position de [son] père soit la plus simple à défendre » lors de ce procès.
* Le prénom a été changé