Procès Le Scouarnec : « Si j’avais compris plus tôt, peut-être que »… Cette victime est rongée par les remords
A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes,
Le temps était comme suspendu. Plus un bruit, plus un mouvement. Au moment d’entendre les journaux de Joël Le Scouarnec, la salle d’audience de la cour criminelle du Morbihan s’est figée. Même la présidente Aude Buresi, pourtant particulièrement solide depuis le début du procès, a marqué quelque temps d’arrêt dans sa lecture. La magistrate semble dégoûtée, en colère. L’ancien chirurgien y décrit sur plusieurs pages les pénétrations digitales anales et vaginales qu’il a imposées à une petite fille alors âgée de 11 ans. Le texte est affligeant, ignoble et fourmille de détails scabreux. Le comble de l’horreur se produit quand l’ancien médecin conclut par un glaçant : « Peut-être qu’on ne se verra jamais plus. Je t’aime ». Silence dans la salle du tribunal de Vannes.
Les faits examinés remontent à l’année 1999 et se sont déroulés à la clinique du Sacré-Cœur, à Vannes. Morgane * vient pour être opérée d’une appendicite. Elle souffre et attend avec impatience d’être prise en charge lorsque le Dr Joël Le Scouarnec pénètre dans sa chambre. Le chirurgien digestif profite de la fébrilité de cette enfant de 11 ans pour lui imposer des viols digitaux, prétextant des actes médicaux nécessaires. La jeune fille est comme tétanisée. « Il m’a demandé d’écarter les jambes. Je savais pas trop comment faire, j’étais un peu sous le choc. Je me suis concentrée sur le fait d’écouter les instructions. Je ne regardais pas. Je me disais qu’il fallait que tout soit bien pour que je puisse être opérée. Toute ma vie, je me suis dit que c’était bizarre. » Elle n’en a jamais parlé à ses parents, jusqu’à ce que la gendarmerie l’appelle.
Dans ses carnets, le chirurgien décrira cette enfant comme « sage ». Était-ce plus facile d’abuser d’une victime comme elle ?, demande l’avocate de Morgane. « Oui, ça a dû faciliter les choses. Cette absence de réaction me permettait de rester plus longtemps, de prolonger mes gestes », a reconnu l’ancien chirurgien, alors que la victime s’était rassise. L’accusé, qui est jugé pour des faits de viols et d’agressions sexuelles commis sur 299 victimes, a présenté ses excuses à cette femme, aujourd’hui âgée de 36 ans. Mais à quoi bon ? L’impact de la révélation de ces faits a provoqué une véritable déflagration dans la vie de Morgane.
« J’aurais voulu comprendre, j’ai des regrets »
Au moment de s’exprimer à la barre, elle finit par avouer ce qui la ronge depuis toutes ces années. « Je savais au fond de moi que ce n’était pas normal. J’y ai pensé pendant plusieurs années, et puis j’avais réussi à le mettre de côté. Dans mon esprit, c’est jamais allé au-dessus de : « c’est bizarre et très dérangeant » », exprime-t-elle. Avant de lâcher son lourd fardeau : « J’aurais voulu comprendre, j’ai des regrets. Je ne savais pas que c’était un viol ».

Le témoignage de cette jeune femme est renversant. Vingt-six ans après avoir subi un viol de la part d’un médecin qui lui a menti, Morgane est habitée par un sentiment de culpabilité. « Si j’avais compris plus tôt… C’était quand même en 1999… Il y aurait eu moins de victimes… Peut-être… Quand j’ai eu l’âge de comprendre les questions de consentement, de viol. J’aurais bien voulu me souvenir de ce moment-là », lâche-t-elle avec émotion. Une main serrée dans son dos, l’autre crispée sur le micro, elle ébranle la salle en partageant ce sentiment de culpabilité qui l’anime. L’avocat général se lève et s’adresse à elle : « Monsieur Le Scouarnec a fait comme si de rien était. Il vous a menti. Vous n’avez rien à vous reprocher. Comment une enfant pourrait se reprocher quoi que ce soit ? C’est à lui d’assumer. S’il n’a pas été arrêté avant malgré toute la machine judiciaire, ce n’est pas à vous de vous le reprocher aujourd’hui », lance Stéphane Kellenberger.
« Le seul coupable, c’est moi »
Debout dans son box, l’accusé lance aussi quelques mots à l’attention de la victime. « Elle n’est en rien coupable. Le seul coupable, c’est moi. Comment pouvait-elle se rendre compte de ce que je faisais ? », lance Joël Le Scouarnec, toujours habillé de cette même veste noire. Ce procès, qui doit durer quatre mois, est particulièrement lourd pour les parties civiles. Mais il justement là pour permettre aux 299 victimes et à leur entourage de se réparer. « J’espère que je vais être un peu soulagée après avoir témoigné aujourd’hui », glisse Morgane à la barre. Quelques minutes plus tard, elle quittera la salle d’audience. Émue. Mais debout.
* Le prénom a été modifié