Procès Le Scouarnec : « On se demande ce qu’on fout là »… Le procès hors normes est-il taillé pour les victimes ?
De notre envoyé spécial à Vannes,
C’est un trajet d’environ 300 mètres. Après avoir franchi un parking, traversez la bien nommée rue des Tribunaux et plongez dans les petits jardins de l’hôtel de Limur. Puis descendez quelques marches et vous arriverez au tribunal judiciaire de Vannes, où est installée la cour criminelle du Morbihan. Depuis lundi, sa principale salle d’audience a été réquisitionnée pour juger Joël Le Scouarnec. Un procès décrit comme hors normes par le ministère de la Justice, qui a dû bosser deux années dessus pour trouver un moyen de caser les quelque 299 victimes susceptibles de présenter, les 65 avocats mobilisés, les centaines de journalistes accrédités ainsi que les nombreux magistrats mobilisés pendant les quatre mois de ce procès.
La salle ne pouvant accueillir que 90 personnes, le choix a été fait d’utiliser l’ancienne fac de droit prêtée par la ville de Vannes. Les parties civiles sont donc invitées à suivre les débats depuis un amphithéâtre. Quand elles seront appelées à la barre, il leur faudra marcher cinq minutes pour rejoindre la salle d’audience. « J’ai bien conscience que cette organisation présente des contraintes », a reconnu la présidente de la cour Aude Buresi. « Je vous l’assure : la distance physique n’a pas pour objet de vous tenir à l’écart ».
La sensation est pourtant étrange pour l’ouverture de ce procès particulièrement médiatisé. Ce lundi, la salle d’audience n’était occupée que par les avocats des parties civiles et celui de Joël Le Scouarnec et par quelques journalistes. Le reste de la presse, les victimes et le public devaient se contenter de suivre les débats à distance. « On se retrouve assis sur les bancs de la fac. On se demande un peu ce qu’on fout là », reconnaît Me Mathias Darmon. Le jeune avocat est un collaborateur de Me Marie Grimaud, qui défend près d’une cinquantaine de parties civiles. Cette dernière est particulièrement remontée contre ce choix d’avoir deux sites distincts. « Ça offre à Joël Le Scouarnec une forme de huis clos avec les juges, alors que les parties civiles sont reléguées plus loin. Au moment de leur audition, mes clients se trouveront seuls face à lui sans pouvoir compter sur le soutien des autres victimes », dénonce l’avocate parisienne.
« J’ai la sensation qu’on veut les invisibiliser »
Dans les faits, chaque victime pourra venir accompagnée de quelques proches, à condition d’avoir donné leur nom à la cour en amont. Mais selon Me Marie Grimaud, les parties civiles ne pourront pas compter sur « l’effet cathartique » qu’aurait constitué une foule de victime. « Elles n’auront pas cet effet de soutien psychologique. J’ai la sensation qu’on veut les invisibiliser », martèle l’avocate.
Ces craintes ne sont pas partagées par l’ensemble de sa profession. Me Cécile de Oliveira estime, elle, que la justice « a pris en compte une réalité » pour bâtir son organisation. « On ne peut pas mettre tout le monde dans une même salle. A partir de là, il fallait bien trouver une solution. Les victimes pourront être accompagnées de leurs proches le jour de leur audition. Et nous, les avocats, nous pouvons les accompagner que ce soit dans la salle d’audience ou dans la salle de déport », assure l’avocate nantaise, qui défend deux victimes du chirurgien.
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Ce que redoutent le plus les victimes, c’est de découvrir le visage et la voix de leur bourreau quelques secondes avant de raconter leur calvaire et les sévices subis. Rappelons qu’elles sont très nombreuses à ne pas garder de souvenir des agressions sexuelles ou viols imposés par le médecin. Mais beaucoup témoignent de troubles sévères depuis qu’ils ont été opérés par Joël Le Scouarnec. « C’est un peu comme si les victimes n’existaient pas », glisse Me Margot Saure, autre collaboratrice de Me Marie Grimaud.
« Vous aurez la priorité »
Les auditions de parties civiles ne sont pas attendues avant la semaine prochaine. D’ici là, la salle d’audience aura eu le temps de se vider un peu et de laisser de la place aux parties civiles qui souhaitent s’imprégner du décor avant d’être entendues. « Vous aurez la priorité pour ces places libérées », a assuré la présidente de la cour. « Je suis certaine qu’il y aura de la place. J’ai prévu d’accompagner mes clients dans la salle avant qu’ils ne s’expriment. Dans tous les cas, cela restera des moments très éprouvants », prévient Me Cécile de Oliveira.
Notre dossier sur le procès Le Scouarnec
Le procès de Joël Le Scouarnec doit durer quatre mois. Déjà condamné en 2020 à quinze années de prison pour les viols de sa nièce, de sa voisine et de deux autres victimes, l’ancien chirurgien de 74 ans encourt vingt années de prison supplémentaires.