Procès Le Scouarnec : L’abjecte plongée dans les carnets secrets du chirurgien accusé de 299 viols et agressions sexuelles

Côté pile, il y a ce brillant chirurgien à la carrière irréprochable. Un homme qualifié de « charmant », « compétent » et « serviable » par ses collègues. Certes, certains le trouvent un peu « froid » ou s’étonnent de le voir à longueur de journée prendre des notes dans un petit carnet, mais pas de quoi se formaliser non plus. Le Dr Joël Le Scouarnec incarne l’ascension sociale. Lui qui a grandi dans une petite loge de gardien – sa mère était concierge dans un immeuble parisien – vit désormais dans une maison cossue, un « manoir » disent ceux qui y sont invités, dans l’ouest de la France. Sa vie personnelle semble aussi lisse : marié à une aide-soignante rencontrée pendant ses études, ils ont trois fils. Un père « attentionné », selon leurs dires, bien que très pris par son travail.
Mais les apparences peuvent être trompeuses et côté face, le Dr Le Scouarnec ressemble davantage à Mister Hyde. Le praticien est soupçonné d’être l’un des plus grands pédocriminels français. Déjà condamné en 2020 à quinze ans de réclusion criminelle pour le viol de sa petite voisine et d’une nièce, il est jugé à partir de ce lundi devant la cour criminelle du Morbihan pour 111 viols aggravés et 189 agressions sexuelles aggravées commis sur ses patients entre 1989 et 2014 dans différentes cliniques et hôpitaux du centre de la France, de Bretagne et de Charente-Maritime.
Identifié grâce à ses « registres »
L’immense majorité des 299 victimes – quasiment autant de filles que de garçons – étaient mineures : 285 avaient moins de 20 ans, 256 moins de 15 ans. La plus jeune était âgée d’1 an lorsqu’elle a croisé la route de ce chirurgien. Tous ont été identifiés grâce à des fichiers informatiques découverts en marge de l’enquête sur le viol de sa voisine. Des listes vertigineuses de victimes – un fichier « vulvettes » pour les filles, « quéquettes » pour les garçons – dans lesquels l’accusé consignait le nom de ses patients, leur âge et, en quelques mots, les sévices imposés. « J’ai enfoncé mon doigt dans sa vulve humide de pipi », « j’ai branlé sa bite pendant son sommeil », « j’ai mis mon doigt dans son anus »…
En écho, le Dr Le Scouarnec s’épanche longuement dans son journal. Il raconte avec force de détails le plaisir pris à imposer tels ou tels actes, ses penchants scatophiles et urophiles. Plonger dans ses écrits, c’est s’enfoncer dans les limbes de l’âme humaine, là où les interdits moraux et sociaux sont franchis sans le moindre remord. Les mots enfantins qui peuplent ces pages – « bistouquette », « chounette », « minou »… – contrastent avec une perversité abyssale. « L’avantage des petites filles de ton âge [6 ans] c’est qu’on peut les toucher sans qu’elle pose trop de questions. » Sous la plume de Le Scouarnec, les rôles s’inversent et les enfants sont rendus complices des actes qui leur sont imposés. « Tu m’as laissé sans difficulté caresser ton minou mais également mettre un doigt dans ton anus. » La pénétration pénienne semble sa seule limite.
Tout au long de l’instruction, le praticien a reconnu ses penchants pédophiles, évoquant être sous une forme « d’emprise », tout en ne cessant de nier ou minorer les agressions, affirmant notamment qu’une partie de son journal relevait du fantasme et qu’il surjouait la réalité. Contactés, ses avocats n’ont pas souhaité s’exprimer.
« J’ai fait confiance au médecin »
Au fil des pages, un mode opératoire se dessine. Dans ses carnets, Joël Le Scouarnec raconte agir parfois « furtivement » au bloc, sous le champ opératoire pour ne pas attirer l’attention de ses collègues. Les victimes sont alors anesthésiées. Le reste du temps, il passe à l’acte dans leur chambre. « Quand j’ai vu que le petit S. [5 ans] était seul dans sa chambre, je n’ai pas hésité à y retourner. » Les agressions s’enchaînent, parfois plusieurs dans la même journée. Il guette le départ des infirmières ou des parents, trouve des subterfuges. « Je me suis proposé pour le surveiller en salle de réveil et c’est ainsi que je me suis retrouvé seul avec lui », écrit-il.
Lorsque les patients sont éveillés, il prétexte un acte médical. « Il me dit qu’il va faire un contrôle et là, il me fait soulever mon pyjama et il a fouillé dans ma vulve […], c’était près de ma cicatrice alors j’ai fait confiance au médecin », racontera l’une des victimes aux gendarmes. Le Dr Le Scouarnec a une blouse blanche, c’est lui l’adulte, le spécialiste qui plus est. Et il n’hésite pas à en jouer. « En te demandant si tu avais des brûlures en faisant pipi, j’en ai profité pour écarter tes lèvres », écrit-il ainsi en 1996. Qui oserait remettre en cause la parole de l’expert ? Les rares enfants à s’être confiés à leurs parents se sont d’ailleurs vus répondre qu’il s’agissait d’un geste médical.
« J’ai des flashs »
Si quelques patients gardaient un vague souvenir des agressions, parfois sous forme de « flashs » ou de sentiment que « quelque chose s’était passé », pour la majorité, l’appel des gendarmes a fait l’effet d’une déflagration. Beaucoup estiment que cette hospitalisation a marqué un tournant dans leur vie. Des parents se souviennent d’enfants qui, du jour au lendemain, développent une phobie du corps médical, sombrent dans l’anorexie, la drogue ou la dépression.
Vingt ans, trente ans plus tard, nombre de victimes racontent une vie marquée par des troubles affectifs et sexuels. Même sans souvenirs, la mémoire garde une trace des traumatismes subis. Pour certains, la révélation a permis d’enfin comprendre l’origine des troubles. « J’ai des flashs où je vois ce professionnel me toucher. Longtemps, j’ai cru que c’était mon imagination qui me faisait défaut. J’ai même fini par croire que j’étais folle », confie l’une d’elles.
Une vie avec des poupées
Joël Le Scouarnec fait remonter sa déviance pédocriminelle à 1986, assurant avoir ressenti du plaisir lorsqu’une fillette de son entourage s’est assise sur ses genoux. Celle-ci se serait renforcée à mesure que son couple se délitait. En novembre 2005, il est condamné à quatre mois de sursis pour détention d’images pédocriminelle mais n’est soumis à aucune obligation de soins. Aucune mesure n’est prise par les établissements dans lesquels il travaille. Il faudra attendre 2008 pour noter une baisse du nombre d’agressions. A cette époque, Joël Le Scouarnec vit seul à Jonzac, en Charente-Maritime. Sa femme l’a quitté, les enfants, adultes, sont partis. A part son travail, le praticien ne voit plus personne et vit reclus. Il ne s’habille plus, ne se lave plus, se délecte de voir la crasse s’accumuler sur son corps.
Notre dossier sur l’affaire Le Scouarnec
Sa vie personnelle tourne autour de poupées, il en possédera jusqu’à 70. Toutes ont un nom. Joël Le Scouarnec les habille, leur offre des cadeaux. Sur certaines poupées, il a installé un faux sexe de sorte qu’il a des « relations » avec elles, souvent à tendance scatologique. Dans son journal, la frontière entre la réalité et la fiction semble de plus en plus ténue. En 2010, après une agression sur une fillette de 5 ans, il écrit : « Une gamine comme je les aime tant qui remplacerait si bien ma petite Véronique car elle est vivante ». Dans ses carnets, il fait état d’une dernière agression sur un patient en 2014, puis semble ensuite totalement accaparé par ses poupées. Jusqu’au viol de sa petite voisine, qui mettra fin à trente ans d’impunité.
Les psychiatres et psychologues qui l’ont expertisé le décrivent comme un « pervers prédateur » ayant un « besoin compulsif de satisfaction de ses désirs ». Si l’accusé estime que la prison l’a libéré d’une vie guidée par son « attirance pour les enfants », un psychologue a noté que depuis son incarcération, Joël Le Scouarnec s’est mis à la peinture. Il peint essentiellement des portraits d’enfants, le Manneken Pis – cette statue d’enfant faisant pipi – ou « des œuvres d’art aux détails phalliques subtilement exagérés ».