Procès Le Scouarnec : « Je ne vivais que pour ça »… L’ex-chirurgien témoigne de sa « bulle pédophile »

A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes,
Il ne s’était jusqu’à présent pas beaucoup exprimé. Assez toutefois pour plonger la salle d’audience dans l’horreur quand il avait avoué à son fils aîné avoir abusé de sa petite-fille. Ou pour reconnaître à l’ouverture des débats la semaine dernière avoir « commis des actes odieux ». Lundi, pour la deuxième semaine de son procès pour des viols et agressions sexuelles aggravés sur 299 victimes, la plupart mineures, Joël Le Scouarnec a pour la première fois été longuement interrogé devant la cour criminelle du Morbihan. Sur son enfance tout d’abord dans une famille modeste où il n’a « manqué de rien » mais dont il n’a gardé aucun souvenir. Une enfance solitaire qu’il passait seul à dévorer des livres dans sa chambre.
Sur sa vie de famille aussi, aux côtés de son épouse dont il est aujourd’hui séparé et de ses trois fils. Une vie normale en apparence même s’il n’était pas beaucoup présent au foyer, passionné par son métier de chirurgien. « Même quand je n’avais pas besoin d’être au bloc opératoire, j’y allais », reconnaît-il. Mais derrière le père, le mari et le médecin brillant se cachait aussi un redoutable pédophile, le pire jamais jugé en France. « J’avais deux vies, une vie familiale, sociale et professionnelle. Et à côté de ça, la vie d’un pédophile qui ne pensait qu’à ça », assure-t-il d’un ton étonnamment détendu. Avant de poursuivre : « Ma vie, c’étaient les sites pédopornographiques et la pédophilie, je ne vivais que pour ça ».
« Je me suis laissé envahir par cette perversion »
Une déviance qui a commencé « entre 1984 et 1985 » avant d’absorber rapidement toutes ses pensées. « Au fur et à mesure du temps, je me suis laissé envahir par cette perversion », poursuit l’accusé, qui n’a d’ailleurs jamais caché sa face sombre. « Il se montrait fier de ses penchants, il aimait marquer qu’il était pédophile », a témoigné un peu plus tôt l’après-midi le directeur d’enquête au sujet des insoutenables « carnets intimes » dans lesquels Joël Le Scouarnec listait scrupuleusement les noms de ses victimes et les violences qu’il leur faisait subir.
Mais quel a été l’élément déclencheur de cette perversion qui l’a conduit à commettre de telles horreurs ? « Vous avez dit que vous étiez devenu pédophile. Comme si ça vous était tombé dessus, un peu comme une maladie. Pensez-vous vraiment que ça s’est passé comme ça ? », le questionne Stéphane Kellenberger, l’avocat général. « Je ne sais toujours pas apporter une réponse à cela », lui répond l’accusé, évoquant toutefois le souvenir d’une de ses nièces. « C’était une gamine dissipée qui était souvent disputée par ses parents et venait se réfugier dans mes bras. C’est là que j’ai commencé à avoir des gestes malencontreux », assure-t-il.
« Et vous la rendez responsable ? », embraye l’avocat général. « Elle n’est en rien responsable du comportement que j’ai eu, c’est moi et seulement moi qui suis responsable de tout ça », affirme Joël Le Scouarnec, bien décidé, enfin, à ne « plus rien dissimuler » de « l’homme effrayant » qu’il a été. « Aujourd’hui, je me sens prêt à reconnaître certains faits de viols que j’ai voulu cacher, nier, je suis prêt à les reconnaître, j’en ai fini du mensonge ».
« Le mensonge n’est plus d’actualité aujourd’hui »
Des aveux dont la sincérité interroge certains avocats des parties civiles. « Quel est le sens de ces mots ? », l’interroge l’un d’entre eux. « J’ai menti à tout le monde, à mon épouse, à ma sœur, aux enquêteurs en 2004 puis jusqu’en 2017. Aujourd’hui, je veux assumer ma responsabilité quelle que soit la nature de ce que j’ai pu faire. Le mensonge n’est plus d’actualité ». A l’écouter, le déclic aurait eu lieu en 2017. « Le jour de mon incarcération, j’ai dit ça y est, je vais pouvoir me libérer de tout ça ». Une « bulle pédophile » dans laquelle il ne voyait « l’enfant que comme l’objet de (ses) désirs ». « Je n’avais aucun état d’âme, je ne pensais pas au mal que je faisais autour de moi » , poursuit-il.
Notre dossier sur le procès Le Scouarnec
Suivi par deux psychologues en détention, Joël Le Scouarnec assure que son désir pédocriminel a aujourd’hui disparu. « Je n’ai plus aucune attirance d’ordre sexuel vis-à-vis des enfants », lance-t-il à la cour, avouant regarder « deux fois par mois le film X sur Canal + » car sa vie sexuelle « n’est pas éteinte ». « Et avez-vous peur de récidiver ? », l’interroge l’un des avocats des parties civiles. « Non », lui réplique Joël Le Scouarnec. A la fin de son interrogatoire, en réponse à une question de l’un de ses avocats, le septuagénaire poursuit encore son mea culpa en estimant que « tout être humain a le droit, un jour, de redevenir meilleur ».
Ce mardi, Joël Le Scouarnec sera de nouveau entendu par la cour sur sa personnalité puis sur les faits et sur les carnets retrouvés à son domicile. Son procès se tiendra pendant quatre mois devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes. L’ancien chirurgien encourt une peine maximale de vingt ans de prison.