Procès Le Scouarnec : « Je ne me sens pas légitime »… Ces victimes qui ne peuvent pas parler à la barre
A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes.
Le chiffre de 299 est sans doute celui qui ressort le plus souvent lorsque l’on évoque le procès de Joël Le Scouarnec. Dans l’horreur des faits commis par l’ancien chirurgien, ce chiffre de 299 victimes glace le sang. Rappelons qu’elles sont beaucoup plus nombreuses. Car les faits les plus anciens sont prescrits. Mais aussi parce que l’enquête pourtant titanesque des gendarmes n’a sans doute pas permis d’identifier l’ensemble des victimes de celui que l’on présente comme le pire pédophile que la justice française a eu à juger. Depuis un mois, les victimes de l’ancien chirurgien se suivent à la barre de la cour criminelle du Morbihan, à Vannes. Un exercice douloureux absolument nécessaire pour certaines victimes, qui en ont besoin pour se reconstruire. Mais littéralement impossible pour d’autres.
Ce lundi 24 mars, les dossiers de sept victimes constituées parties civiles ont été étudiés. Mais seuls deux hommes ont décidé de s’exprimer, les cinq autres ayant fait le choix de ne pas témoigner des faits. Plusieurs étaient pourtant présentes dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Vannes, accompagnées de leur avocat. Mais elles n’ont pas voulu parler, préférant écouter le rappel des faits les concernant.
Des faits de viols et d’agressions sexuelles dont elles ne gardent pas de souvenirs, la plupart du temps parce qu’elles étaient endormies ou sous sédation. C’est le cas d’Emilie [le prénom a été modifié], qui n’a pas souhaité venir à Vannes mais a choisi d’écrire un long courrier, que la cour a lu. « Je ne suis pas capable de m’intéresser au procès. La couverture médiatique m’atteint. Je n’ai aucune idée comment je peux me l’approprier. Je suis figée. Je ne sais pas quoi faire », témoigne cette femme aujourd’hui âgée d’une trentaine d’années dans un courrier déchirant.
La cicatrice de son agresseur sur la peau
Emilie avait 8 ans quand elle a été opérée en urgence par le Dr Le Scouarnec alors qu’elle était en vacances d’été dans le Morbihan. Son esprit ne se souvient de rien des viols et agressions sexuelles subis. Mais son corps, oui. Face aux enquêteurs, Emilie avait partagé des troubles urinaires, des mycoses à répétition, des brûlures intimes, des douleurs pendant les rapports. Depuis qu’elle a appris les faits, elle ne peut que survivre et manque de force pour pouvoir affronter son bourreau. « Je suis dans un tel état de fébrilité. Je ne me sens pas légitime car je ne me souviens pas. » La cicatrice mal faite de cette opération semble être le seul souvenir de ce sombre été. « J’ai toujours eu un rapport compliqué avec cette cicatrice. Je n’arrive pas à la toucher. » La jeune femme a même dû être hospitalisée en psychiatrie récemment. Souhaitons que ce procès l’aide à se reconstruire.

D’autres victimes sont dans la salle d’audience ou dans la salle de déport où le procès est retransmis. Elles ont besoin d’être là, d’entendre, de voir. Mais elles ne peuvent pas parler. Chacun a ses raisons. Mais la question de « la légitimité » occupe l’espace. « Ce n’est jamais facile de s’exprimer devant la cour. Parce qu’il y a de l’émotion et que c’est difficile de mettre des mots », analyse Me Chloé Bordas, avocate lorientaise qui défend deux victimes. L’un d’eux n’a pas souhaité s’exprimer. « Il suit les débats mais il ne veut pas parler. C’est son choix. Et il a encore le temps de changer d’avis. Chaque cas est différent, chacun a ses raisons », poursuit la jeune avocate. L’autre victime qu’elle défend a choisi de s’exprimer mais elle le fera à huis clos. « Parce qu’elle n’a pas envie que ce soit médiatisé. Mais il a cette volonté de témoigner. Pour certains, cela permet de se sentir reconnu en qualité de victime, pour tourner la page. »
« Moi, je sais ce qu’il s’est passé »
C’est cette envie de passer à autre chose qui a poussé Guillaume à venir témoigner lundi après-midi. « Cette histoire, c’est une histoire de silence. Si on veut que le silence s’arrête, il faut le briser. En espérant que ça me permette de passer à autre chose », glisse cet homme de 35 ans abusé par Joël Le Scouarnec quand il avait 9 ans. Lui ne se souvient de rien et a tout découvert lorsque les gendarmes l’ont appelé. Un choc mais aussi une forme de libération. « Cette liste de conséquences sur ma vie, c’était inexpliqué pour moi. Et là, tout prenait sens », a expliqué celui qui est venu avec sa grand-mère, ancienne collègue de Joël Le Scouarnec. Il suit le procès avec attention et a éprouvé un soulagement quand Joël Le Scouarnec a reconnu l’ensemble des faits. « Le fait que ça ait été avoué, ça me permet d’avancer. Avant, j’avais l’impression que j’étais une fausse victime. » On comprend que ce procès lui a déjà fait un peu de bien.

Il n’est pas le seul dans ce cas. Après avoir appris les faits, Dimitri [le prénom a été modifié] avait mis beaucoup de temps à se constituer partie civile. Il hésitait. Lui se souvient des faits mais a connu une vie plutôt équilibrée. S’il a choisi de témoigner, c’est « pour se soulager d’un poids ». Mais il l’a aussi fait pour les autres victimes. « Tout le monde n’était pas réveillé. Certains ne se souviennent de rien. Moi, je sais ce qu’il s’est passé. J’avais envie de le raconter pour toutes les autres victimes qui ne s’en souviennent pas. » Une forme de thérapie collective qui aidera certaines victimes à se reconstruire.
Les excuses monocordes de l’accusé
A chaque fois, l’accusé leur adresse un mot d’excuse ou de pardon, dont on ne saura jamais s’il est sincère ou forcé. « Je leur dois la vérité. Je ne peux pas revenir en arrière. Mais je veux que les victimes de mes gestes puissent poursuivre leur route. » Le procès, qui doit durer quatre mois, est là pour ça.