Procès Le Scouarnec : « Il a brisé ma vie et je veux qu’il l’entende »… L’audition poignante des premières victimes

A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes,
« Cela fait 33 ans que j’attends ce moment. Il a brisé ma vie et je veux qu’il l’entende ». Son audition démarre à peine qu’Oriane fond en larmes. Cette femme d’une quarantaine d’années est la première, ce jeudi après-midi, à faire face à Joël Le Scouarnec. Son bourreau, mais aussi celui de 298 autres victimes. Très émue, elle témoigne en visioconférence. « Je ne suis pas physiquement avec vous car mon état de santé ne le permet pas », assure-t-elle. La faute à des maladies auto-immunes qui l’ont rendu handicapée, conséquences d’un stress post-traumatique qui la ronge depuis son enfance.
Orianne avait 10 ans quand elle a croisé la route du chirurgien pédocriminel en janvier 1992 à la clinique de Loches (Indre-et-Loire), où elle avait été hospitalisée pour une opération de l’appendicite. Dès le premier jour, le professionnel de santé lui a introduit un doigt dans son vagin au prétexte de lui prendre sa température. Un viol qu’il reproduira à plusieurs reprises dans ses souvenirs lors de son séjour à la clinique. « Toutes les nuits dans mes cauchemars, j’entends sa respiration, avoue-t-elle péniblement. Cette scène me hante vraiment et c’est un gros traumatisme pour moi ».
« J’étais soulagée que les gendarmes m’appellent »
Juste après son hospitalisation, Orianne tente bien d’expliquer que le chirurgien qui l’a opérée lui « a fait très mal ». Mais personne n’est là pour l’entendre. Ni ses parents, ni le gynécologue qu’elle avait consulté quand elle était adolescente, et qui avait constaté que son hymen était déchiré. « On n’écoutait pas les enfants à l’époque, il ne fallait pas faire de vagues. La réputation primait sur le bien-être des enfants », confie-t-elle. Plongée dans une longue dépression, elle attendra d’avoir 23 ans pour prononcer enfin le mot viol. « Je ne vis plus depuis », assure cette mère de famille, qui ne prend « plus plaisir à rien » à cause de ses « phobies et blocages ».
En juin 2019, les gendarmes la contactent car son nom a été retrouvé dans les ignobles carnets retrouvés au domicile du chirurgien en 2017, à Jonzac. « J’étais soulagée, car j’attendais cet appel depuis trente ans, raconte-t-elle. D’ailleurs, je leur ai tout de suite cité le nom du docteur Le Scouarnec, ce qui les a surpris ». Un peu moins de six ans plus tard, là voilà confrontée par écran interposé à son violeur, le pire pédocriminel jamais jugé en France.
« J’ai dévasté sa vie », reconnaît Le Scouarnec
« Qu’attendez-vous de ce procès ? », lui demande Aude Buresi, la présidente de la cour. « Plein de choses, répond-elle. Que ceux qui savaient soient punis. Que la peine soit à la hauteur de tout le mal qu’il a pu faire. Et qu’il ne conteste pas la peine que vous allez lui donner. Et j’espère que ce sera le bout du tunnel, que ça va clore toutes ces années de mal-être pour pouvoir enfin commencer à vivre ». A qui pense-t-elle quand elle souligne « que ceux qui savaient soient punis » ? « Son ex-femme par exemple, je suis persuadée qu’elle savait ».
Assis dans son box, Joël Le Scouarnec écoute attentivement sa victime. Avant d’avouer quand on l’interroge : « J’ai été effectivement la personne qu’elle a décrite, l’être ignoble qui faisait tout pour rentrer dans sa chambre pour assouvir ses pulsions. J’ai dévasté sa vie, je l’ai broyée sur le plan physique et psychique et j’en suis sincèrement désolé ». Il assure n’avoir « aucun souvenir » des atrocités qu’il a fait subir à la fillette. « Moi je les ai oubliées, mais pas elle, affirme-t-il. Je viens de l’entendre s’exprimer, elle n’a pas inventé ses souvenirs donc ils ont dû avoir lieu ». « Pour qui faites-vous ces aveux ? », le questionne alors l’un de ses avocats. « Pour la dame que j’ai en face de moi, pour qu’elle puisse tourner la page même si on ne tourne jamais la page, qu’elle trouve la force de continuer à avancer ».
« Je ne comprends pas pourquoi je ne m’en souviens pas »
Quelques minutes après cette audition, la première d’une longue série à venir, Sophie* se présente face à la cour. Elle aussi a été victime de Joël Le Scouarnec quand elle avait 9 ans, même si elle n’a gardé aucun souvenir du viol subi. « Ou tout du moins, ma mémoire a peut-être peur de s’en souvenir », suggère-t-elle au bord des larmes. En 2018, « une chape de plomb » lui tombe sur la tête quand elle apprend de la bouche des gendarmes qu’elle figure elle aussi dans les carnets noirs du pédocriminel. Il se vante, dans ses écrits, de l’avoir pénétré avec son doigt en 1991 à la clinique de Loches, où elle était hospitalisée après une chute à vélo. « En apprenant ça, je me suis sentie sale, j’étais dégoûtée, choquée. Je me disais que ce n’était pas possible, que je devais forcément m’en souvenir. Et c’est encore mon attitude aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi je ne m’en souviens pas ».
Notre dossier sur le procès Le Scouarnec
Joël Le Scouarnec ne se souvient pas lui non plus d’avoir violé la fillette. « Je ne peux me fier qu’à ce que j’ai écrit, assure-t-il. Mais effectivement, c’est un viol que j’ai commis. Cette petite fille avait toute confiance en moi. Je suis profondément désolé et je vous demande pardon ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, une troisième jeune femme témoigne avec émotion devant la cour criminelle du Morbihan du « cataclysme » qu’a été la découverte des violences sexuelles dont elle a été victime. « Je n’avais plus envie de vivre », lâche-t-elle.
Le procès de Joël Le Scouarnec doit se tenir pendant quatre mois devant la cour criminelle du Morbihan à Vannes. L’ancien chirurgien viscéral encourt une peine maximale de vingt ans de prison.
* Le prénom a été modifié à la demande de la victime.