Procès Evaëlle : « T’es nul », « tu sers à rien »… Un autre élève raconte comment son enseignante l’a harcelé

A première vue, de l’eau a coulé sous les ponts. Jonathan* vient tout juste de fêter ses 18 ans et achève son bac pro qu’il devrait obtenir haut la main. « Il a eu les félicitations aux deux derniers trimestres et est même délégué de classe », sourit sa mère, Katell S. Derrière la fierté maternelle, c’est également une manière de souligner le chemin parcouru depuis cette année de 6e « extrêmement éprouvante ».
Sa professeure de français de l’époque, Pascale B., est jugée à partir de ce lundi devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour harcèlement à l’encontre de trois élèves. Jonathan, donc, mais également la jeune Evaëlle, qui s’est suicidée en juin 2019. L’enseignante n’a eu de cesse de nier les faits tout au long de l’instruction et reste présumée innocente jusqu’à une éventuelle condamnation. Avant l’ouverture du procès, Jonathan et sa mère se confient.
Vous avez porté plainte contre votre professeure de français pour des faits de harcèlement lorsque vous étiez en 6e, entre 2018 et 2019. Comment cela se manifestait-il ?
Jonathan : Les premières semaines, ça allait plutôt bien mais très vite, elle a commencé à m’humilier. A chaque cours ou presque, elle m’interrogeait et si je n’avais pas la bonne réponse, elle me disait « t’es nul », « on apprend ça en CP », « tu sers à rien ». C’était en boucle, tout le temps. Comme c’était ma prof principale, c’était difficile de me plaindre. On était deux ou trois dans la classe à être toujours visés. En fait, il y avait trois groupes parmi les élèves : ses chouchous, ceux qu’on appelait les « fantômes », c’est-à-dire qu’elle ne les interrogeait pas et ceux à qui elle s’en prenait. C’était les plus timides, ceux qui n’osaient pas répondre.
Katell S. : Jonathan a eu des problèmes d’audition lorsqu’il était petit, ce qui a entraîné quelques lacunes, mais rien de très important. Ma fille aînée était alors en 3e et l’avait également comme prof : elle ne faisait pas partie de ses cibles mais m’a raconté que dans toutes les classes, c’était la même chose cette enseignante avait ses chouchous et ses bêtes noires.
Avez-vous eu conscience rapidement que cela relevait du harcèlement ?
Katell S. : On n’a pas forcément mis ce mot dessus mais on a rapidement eu conscience qu’il y avait un vrai problème. On a vu le comportement de Jonathan changer à la maison. Il a commencé à se renfermer sur lui, il ne parlait plus trop, il était triste. Ensuite, sont venues des crises de colère. Il tapait dans le canapé, jetait des coussins, hurlait qu’il ne voulait pas aller en français, en cours. Il répétait qu’il était nul, qu’il était bête, qu’il allait finir SDF. C’était un cauchemar.
Jonathan : J’angoissais avant d’aller à son cours, je tremblais, je priais pour qu’elle ne s’en prenne pas à moi. L’ambiance était hyper pesante. Ça a brisé ma confiance en moi. Au collège, ça ne se voyait pas trop, on n’en parlait pas, mais à la maison, j’étais énervé.
Katell S. : Vous n’en parliez pas avec tes copains mais ils se rendaient compte qu’il se passait un truc pas normal. Je me souviens qu’une fois j’ai croisé l’un d’eux qui m’a dit : « Aujourd’hui, Jonathan a pris cher en cours. »
Comment avez-vous réagi ?
Katell S. : J’ai très rapidement essayé de prendre rendez-vous avec l’enseignante. Je n’étais pas du tout dans la revendication, pour moi elle ne se rendait pas compte des répercussions de ses mots. Elle a décliné tous mes propositions de rendez-vous en présentiel mais a accepté de me parler par téléphone. Honnêtement, ça s’est super bien passé. Vraiment. Elle m’a promis de l’accompagner. J’étais rassuré. En fait, ça a empiré.
Jonathan : Il y avait encore plus de remarques. C’était du genre : « je peux rien faire pour toi » ou elle disait « tout le monde a compris sauf Jonathan »… Elle m’envoyait régulièrement chercher des trucs dans d’autres salles, comme des copies ou du matériel, et dès que je sortais elle se moquait de moi.
Jonathan, vous étiez en 6e au même moment qu’Evaëlle. La connaissiez-vous ? Saviez-vous ce qu’elle vivait ?
Jonathan : Oui, je la connais depuis la maternelle. Son frère était un de mes meilleurs amis. Au cours de l’année, je me suis rendu compte qu’elle était harcelée, j’ai assisté à une scène de violence mais je ne savais pas ce qu’il se passait dans sa classe, je ne savais pas qu’elle avait aussi Mme B. en tant qu’enseignante.
Avez-vous tenté d’alerter la direction ?
Katell S. : Non. J’avais le sentiment que plus j’allais en parler, plus la situation risquait d’être compliquée pour Jonathan. On se sentait écraser par ce qui nous arrivait. On connaissait un peu les parents d’Evaëlle, c’est une petite ville, entre l’école, les anniversaires… Eux, ont remué ciel et terre, ils ont tout essayé, sonné à toutes les portes. Rien n’a bougé. On s’est mis comme objectif de tenir jusqu’à la fin de l’année, un jour après l’autre. Chaque soir, je débriefais Jonathan. Je le faisais parler, parler. C’était extrêmement éprouvant. Le suicide d’Evaëlle [en juin 2019] , ça a été un immense choc. Le décès dans de telles circonstances d’une enfant, c’est insupportable. Et puis, je crois que j’ai réalisé à ce moment-là que ça aurait pu être mon fils.
Quand vous êtes-vous décidé à porter plainte ?
Katell S. : On n’y a pas pensé tout de suite. C’était une période très compliquée, marquée par ce deuil. On a été contacté à l’automne par les policiers pour venir témoigner. Ce sont eux qui nous ont dit qu’on devrait porter plainte, que ce qu’on racontait relevait du harcèlement. On y a réfléchi et nous avons finalement décidé de le faire.
Appréhendez-vous le procès qui s’ouvre lundi ?
Jonathan : La revoir va me faire un choc même si je n’ai plus peur d’elle aujourd’hui. J’ai mis très longtemps à me reconstruire, je pense qu’il a fallu que je rentre au lycée pour que je mette cette histoire derrière moi, que je reprenne confiance en moi. Je n’ai pas forcément très envie de me replonger dans cette période mais j’ai envie de lui dire le mal qu’elle m’a fait.
Katell S. : Et qu’elle l’entende surtout. J’ai besoin qu’elle reconnaisse que sa manière de faire, ce n’était pas de la pédagogie. Le harcèlement, ça casse des enfants, ça ruine aussi des familles, ça les plonge dans le désarroi. On n’est pas forcément armé pour y faire face. J’appréhende beaucoup le procès mais j’ai aussi hâte que ça se termine, qu’on puisse clore ce chapitre de nos vies.
* Mineur au moment des faits, le prénom de Jonathan a été modifié.