Procès Evaëlle : « Je ne voulais pas qu’elle pleure »… L’enseignante se défend de l’avoir « humiliée »
Au tribunal judiciaire de Pontoise (Val-d’Oise),
Trois heures après avoir commencé l’interrogatoire de Pascale B., la présidente suspend l’audience quelques minutes. Le temps pour la maman d’Evaëlle de confier ses impressions à la presse qui l’attend dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Pontoise (Val-d’Oise). A la barre, l’enseignante de 62 ans a « montré son vrai visage », estime Marie Dupuis qui n’est pas « surprise » par la posture adoptée par la prévenue, jugée depuis hier pour avoir harcelé trois élèves, dont la petite fille de 11 ans qui s’est suicidée dans sa chambre le 21 juin 2019. « Je m’y attendais bien et je suis même assez contente qu’elle soit fidèle à elle-même pour montrer comment elle est. C’est une personne non empathique, qui ne se rend pas compte de ce qu’elle dit », insiste la mère de la jeune victime.
Veste noire et beige, jean bleu, Pascale B. a commencé la matinée en expliquant ce qu’elle avait ressenti, la veille, en écoutant les témoignages de ses anciens collègues et des parents de la préadolescente. « Ce n’étaient pas des choses qui m’étaient inconnues. Ceci dit, les écouter en bloc, c’est quand même très violent, très difficile », clame celle qui est devenue professeure en 1987. « Beaucoup de choses ont été dites. Certaines, je les conteste, d’autres ce n’est pas, de mon point de vue, ce que j’ai vécu. » Pas un mot pour son ancienne élève, ni pour sa famille. A l’écouter, Pascale B. est la principale victime de cette affaire. Elle a été choquée après avoir été placée en garde à vue puis suspendue. « La famille d’Evaëlle me portait responsable du décès de leur fille et ça, c’est extrêmement lourd à porter. »
« Dire les choses assez facilement »
L’ancienne professeure de français du collège Isabelle-Autissier d’Herblay est d’abord interrogée sur sa manière de s’adresser aux élèves. La présidente lit plusieurs phrases qu’elle aurait prononcées en classe : « Tu es bête, tu vas finir SDF », « qu’est-ce qu’elle a celle-là, elle bugue ? », « on ne peut pas être bête à ce point, tu n’as pas de cerveau ». « Vous pensez que c’est de nature à les faire progresser ? », lui demande la présidente. Pascale B. « conteste » avoir tenu ces propos mais reconnaît avoir été une enseignante « exigeante » qui pouvait « dire les choses assez facilement ». « Ça ne m’empêche pas d’être à l’écoute et derrière les élèves, ce sont deux choses distinctes », explique-t-elle sans sourciller.

La magistrate lui demande ensuite de parler d’Evaëlle. La prévenue explique que la situation s’est vite dégradée avec cette élève de 6e. L’enfant n’a d’abord pas apprécié d’être obligé par sa professeure de français de prendre ses cours dans un cahier alors que les autres élèves possédaient tous un trieur. « Elle était perdue », « ne s’en sortait pas avec ce classeur » et « perdait du temps » en classe, se justifie-t-elle. Evaëlle s’est ensuite retrouvée au fond de la salle. Pascale B. jure qu’elle ne voulait pas « isoler » la jeune fille mais « l’éloigner » d’un autre élève « avec qui elle ne s’entendait pas ». « Ça n’a pas duré longtemps. »
« Ça ne me glisse pas dessus »
Pascale B. soutient également ne jamais avoir « humilié » l’adolescente
qui était devenue le bouc émissaire d’autres enfants qui l’insultaient la harcelaient. Un jour, lors d’un cours de sport, Evaëlle a été accusée, dit-elle, d’avoir volé une chaussette à un autre élève. Un événement « très futile qui a déclenché des invectives de part et d’autre ». L’enseignante décide de « mettre les choses à plat » à l’occasion de deux heures de vie de classe. Elle demande aux enfants d’exprimer leurs reproches à Evaëlle qui est sommée de répondre et de sécher ses larmes. « J’ai dû lui dire : « Arrête de pleurer », phrase idiote à dire. Je ne voulais pas qu’elle pleure, ce n’était pas l’enjeu », reprend-elle. « Au moment où ça s’est fait, ce n’était pas dans le but de la mettre en difficulté mais essayer de régler ce problème relationnel dans la classe », affirme la prévenue. Le soir, en rentrant chez elle, Evaëlle a pourtant confié à ses parents avoir vécu « le pire jour de sa vie ».
La prévenue s’agace d’entendre Me Cliona Noone, l’une des avocates des parties civiles, dire qu’elle manquait « d’empathie ». « J’ai dans ma vie professionnelle largement montré mon empathie à pas mal de monde. Ce qui me blesse, au-delà de la mise en cause, ça a été la mise en responsabilité du décès d’Evaëlle », s’exclame-t-elle. « Il ne faut pas me faire dire que le décès d’Evaëlle m’importe peu », ajoute Pascale B., soulignant que le décès de la jeune fille a été un véritable « choc ». Mais à l’époque, la direction du collège, qui se retrouvait dans « l’œil du cyclone », lui aurait « enlevé la possibilité d’exprimer à la famille toute forme de compassion en n’allant pas aux obsèques ». « Ça ne me glisse pas dessus, il a fallu depuis six ans que je me blinde pour supporter tout. Désolée si j’apparais comme ça. Si, moi, la digue se rompt, c’est terminé. Je suis un être humain normal qui en prend plein la figure, qui a fait des erreurs comme tout le monde. »
Un « contact assez rude avec les élèves »
Les explications de Pascale P. n’ont pas convaincus la procureure qui a requis une peine de 18 mois de prison avec sursis à son encontre de l’enseignante d’Evaëlle. « Le degré de manque d’empathie de madame me sidère, ne cesse de me sidérer », a déclaré la magistrate. Elle estime que l’enseignante, qui était en position de « toute puissance », avait un « contact assez rude avec les élèves ». Elle lui reproche d’avoir jeté « en pâture » la jeune fille, de l’avoir « fait pleurer ».
Selon elle, l’ex-enseignante était dans une « dérive systémique » qui « aurait pu perdurer longtemps après si l’institution judiciaire ne s’était pas saisie de la notion du harcèlement scolaire ». Pour l’avocate des parents de la victime, Me Delphine Meillet, Evaëlle « a été projetée dans une détresse extrême notamment par le comportement » de son enseignante et « a perdu pied face au harcèlement dont elle a été l’objet ».
Jugement le 10 avril
En fin de journée, Me Marie Roumiantseva, l’avocate de Pascale B., rappelle que la préadolescente n’avait jamais mis en cause son enseignante auprès des différents thérapeutes et professionnels qui l’entouraient. « Pour une professeure censée avoir humilié quotidiennement Evaëlle, aucun des enfants n’est capable de donner un exemple de propos » blessant qu’aurait tenu sa cliente.
La décision sera rendue le 10 avril.