Procès Evaëlle : « Comment notre fille a pu subir cela »… Ses parents racontent la froideur de la communauté éducative

Au tribunal correctionnel de Pontoise,
Il aura fallu attendre près de cinq heures, ce lundi, pour qu’enfin un membre de la communauté éducative présente ses condoléances à la famille d’Evaëlle. « Ce drame, c’est d’abord le leur, mais c’est aussi le mien et celui de toute la communauté éducative », confie, ému à la barre du tribunal correctionnel de Pontoise, l’ancien principal du collège de l’adolescente. Il est également le premier à reconnaître que dans cette affaire, bien des erreurs ont été commises. « A l’époque, je n’imaginais pas qu’un adulte puisse s’en prendre à un enfant. ». Assise derrière lui, Pascale B., « l’adulte » en question, l’écoute, bras croisés, impassible. Cette femme de 62 ans à l’allure stricte – tailleur bleu, coupe au carré – ne manifestera aucune émotion tout au long de la journée.
Pour la première fois, une enseignante est jugée pour des faits de harcèlement sur trois élèves, dont la jeune Evaëlle qui s’est suicidée, à 11 ans, à la fin de son année de 6e. L’enquête a démontré que la fillette était la cible de moqueries et violences de la part de garçons de son établissement – deux d’entre eux seront bientôt jugés – mais toute la question est de savoir s’ils ont pu être influencés par cette prof de français. Elle s’en est défendue tout au long de la procédure et s’en expliquera longuement ce mardi, jour de son audition.
« Les gamins se disent qu’ils peuvent y aller »
Au fil de l’enquête, des élèves ont rapporté des moqueries, remarques cassantes et humiliations à l’égard d’Evaëlle. Avant chaque cours, Pascal B. lui demande, par exemple, de déplacer sa table au fond de la classe, l’isolant de ses camarades. La mère d’Evaëlle lui avait pourtant signalé que sa fille souffrait de problèmes de vue. « A partir du moment où un prof, un adulte référent s’acharne sur elle, les gamins se disent qu’ils peuvent y aller », insiste Sébastien, son père.
Alertés en novembre de la situation, ses parents n’ont eu de cesse de chercher des solutions, se heurtant systématiquement à un mur. Ils rencontrent d’abord le principal. « On s’est pris une leçon de morale, en disant que le mot harcèlement était très grave », se souvient le père d’Evaëlle. Lorsqu’ils obtiennent un rendez-vous avec l’enseignante et la principale adjointe, on les menace d’une plainte en diffamation. En décembre, ils contactent l’établissement pour avertir que leur fille a fait une tentative de suicide. Aucun suivi spécifique n’est envisagé.
« Surréaction »
Au fil de l’audience, c’est l’inertie du système qui se dessine et un corps enseignant qui fait bloc. Rétrospectivement, le principal de l’établissement le reconnaît : il n’a pas pris la mesure de la situation, estimant qu’il s’agissait d’une « surréaction » de la famille d’Evaëlle et a soutenu « mordicus » l’enseignante. D’autant que Pascale B. affichait une trentaine d’années d’expérience au compteur et de très bonnes évaluations. Il a pourtant eu quelques alertes, à l’instar de ce rendez-vous avec une représentante des parents d’élèves à propos de cette affaire. A la barre, il admet que la professeure a menacé cette femme de « se venger sur son fils » mais à ses yeux, il s’agissait d’une « plaisanterie ».
Rien n’est fait par la communauté éducative de l’établissement pour mettre fin au calvaire de la fillette. Evaëlle se referme sur elle-même. Dans les couloirs du collège, les insultes sont légion. Les coups aussi. En février, soit quelques semaines après cet appel à l’aide, Pascale B. décide d’utiliser deux heures de vie de classe autour du thème : « Pourquoi Evaëlle est harcelée ». L’adolescente est placée au centre de la pièce. Les remarques fusent, Evaëlle est en larmes. « Elle est où la bienveillance ? Comment notre fille a pu subir cela ? », interroge son père à la barre. Evaëlle leur confiera que cette journée a été la « pire de sa vie ». Pour ses parents, c’est la goutte de trop : ils retirent leur fille du collège et se décident à porter plainte.
« La goutte d’eau qui a fait déborder le vase »
Mais une fois encore, ils se heurtent à un mur. Le commissariat accepte de prendre une plainte contre des élèves mais pas contre une professeure. Evaëlle sera entendue à deux reprises mais pas les adolescents qu’elle désigne comme ses agresseurs. L’enquête sera rapidement classée sans suite pour n’être rouverte qu’après son suicide. « S’ils avaient interrogé les élèves et pris notre plainte, notre fille serait peut-être en vie », veut croire son père. Dans son nouveau collège, Evaëlle est rapidement rattrapée par la rumeur de son harcèlement passé. En juin, un garçon de sa classe vide son sac au milieu de la cour. « Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », poursuit pudiquement son père. C’est lui qui l’a retrouvé le 21 juin 2019, pendue dans sa chambre.
La mort d’Evaëlle ne permettra pas de mettre fin à ce qui ressemble à bien des égards à un combat de David contre Goliath. Le principal qui a pris les rênes de l’établissement à la rentrée, soit deux mois après le suicide de l’adolescente, raconte avoir eu toutes les peines du monde à organiser une cérémonie de commémoration pour la victime. « Il y avait une forme de malaise, les professeurs avaient le sentiment qu’ils pourraient être à sa place », analyse-t-il. Et de raconter ce premier conseil d’administration, quelques mois après le drame. Alors que le père de la victime est présent, pas un mot ne sera prononcé sur le drame que lui et sa famille traversent.