Procès des viols de Mazan : « Ta mère, on la baise quand ? »… L’inquiétant projet de Dominique Pelicot et Charly A.
A la cour criminelle du Vaucluse,
Charly A. n’en démord pas. « Non », il n’a pas commis de viols sur Gisèle Pelicot. Il reconnaît s’être rendu à six reprises à Mazan, parfois pendant de longues heures, avoir imposé de multiples pénétrations à la victime mais répète invariablement qu’il n’en avait pas « l’intention », qu’il pensait participer à un « scénario libertin ». « Moi, on m’a dit qu’elle faisait semblant de dormir donc je pense qu’elle fait semblant de dormir », tente de se justifier cet homme de 30 ans à la silhouette frêle, arborant une moustache et un collier de barbe. Ses traits adolescents contrastent avec la lourdeur des charges qui pèsent à son encontre. Au-delà de ses allers-retours, il a évoqué avec Dominique Pelicot la possibilité de reproduire les faits sur sa propre mère.
La première fois que Charly A. s’est rendu chez les Pelicot, c’était en janvier 2016. Il avait tout juste 22 ans. Comme pour tous les accusés, le contact avec Dominique Pelicot s’est noué sur Coco.fr. Que savait-il précisément, cherche à savoir la cour. « Il m’a dit que sa femme serait allongée, endormie », explique-t-il d’une voix monocorde. Il jure qu’il ignorait jusqu’à sa sixième et dernière venue à Mazan, en juin 2020, que Dominique Pelicot droguait sa femme à son insu. L’intéressé, toujours prompt à enfoncer ses co-accusés, dément. « Depuis le départ, il sait », tranche le septuagénaire, jambes croisées, regard hautain dans son box. S’il reconnaît avoir été « directif » et se sentir « responsable » du fait du jeune âge de son partenaire, il jure n’avoir pas eu « l’impression de le soudoyer ».
« L’anniversaire de ma femme »
L’interrogatoire est particulièrement poussif. Charly A. est fuyant. Dès qu’une question le met en difficulté, il affirme ne pas la comprendre ou invoque un trou de mémoire. Question après question, il se retranche derrière le « scénario ». Pourquoi n’a-t-il pas réagi en la voyant profondément endormie ? « Il me disait toujours qu’elle était d’accord, qu’il n’y avait pas de souci », élude-t-il. Pourquoi est-il revenu, encore et encore ? « Je ne me souviens pas y être allé six fois. Pour moi, c’était quatre fois maximum. » Comme beaucoup d’accusés, il affirme avoir cédé devant l’insistance de Dominique Pelicot. Les multiples échanges téléphoniques tendent effectivement à montrer que c’était systématiquement le septuagénaire qui le contactait. Mais pourquoi n’a-t-il pas bloqué son numéro, interroge la cour. « Je ne sais pas. »
Un peu plus tôt dans la matinée, un expert-psychiatre, Mathieu Lacambre, a évoqué un mélange « d’opportunité » et « d’immaturité » pour tenter d’expliquer ce passage à l’acte et sa réitération. Il a également mis en avant sa consommation très intense de pornographie dès sa prime adolescence. « M. Pelicot propose l’objet qui était sur l’écran. C’est un objet car il n’est pas conscientisé en tant que sujet », insiste-t-il.
Quarante-sept vidéos ont été retrouvées sur le disque dur de Dominique Pelicot. Ce vendredi, la cour en a visionné deux, datant de leur deuxième rencontre. Gisèle Pelicot ronfle bruyamment, eux chuchotent, se déplacent à pas feutré. Sur l’un des films, on voit Charly A. introduire son sexe dans la bouche de la victime pendant que Dominique Pelicot tient la mâchoire de sa femme. Dans le second, on les voit violer en même temps Gisèle Pelicot. Les films sont à la limite du soutenable. Charly A. fixe ses pieds, la salle tout entière détourne le regard. Ces images datent du 7 décembre 2018. « Cette date, elle correspond à quoi ? », demande Me Stéphane Babonneau, l’avocat de Gisèle Pelicot, à celui qui fut son mari pendant cinquante ans. Silence. « A l’anniversaire de ma femme », finit par répondre son bourreau.
Dominique Pelicot lui aurait remis des cachets
Mais le « cas » Charly A. se singularise également par un projet : celui de reproduire les faits sur la mère du jeune homme. Sur deux vidéos de juin 2020 – lors de sa dernière visite à Mazan –, on entend les deux hommes en discuter. « Et ta mère, on la baise quand ? », demande le septuagénaire. L’intéressé évoque la présence de son petit frère et précise : « Si ce n’est pas ce week-end, c’est le week-end d’après. » La tête basse, les mains jointes dans le box, Charly A. jure qu’il n’avait pas l’intention de passer à l’acte, que la présence de son frère était un alibi pour repousser la venue du septuagénaire. Il peine toutefois à s’expliquer l’évocation de sa mère. « M. Pelicot demande si je peux faire ça sur ma famille ou quelqu’un que je connais. Je dis ma mère. Comme ça », explique-t-il. Et de préciser : « Ma mère, c’est la première chose à laquelle j’ai pensé. » Mesure-t-il le vertige de ses propos ? Difficile à dire. Son ton est neutre, sa voix égale.
Les enquêteurs ont découvert que Charly A. avait envoyé une photo de sa mère – qui vivait à Mazan – à Dominique Pelicot. « Parce qu’il est insistant », justifie le trentenaire. Il reconnaît que le septuagénaire lui a remis deux ou trois cachets et lui a expliqué « comment procéder ». Il jure cependant les avoir jetés avant de rentrer chez lui. « Je confirme expressément que je n’ai jamais jamais jamais donné de médicaments à ma mère », insiste-t-il.
« J’aime sa mère » comme un fils
S’il n’est pas jugé pour ces faits, la cour cherche à comprendre : comment un fils peut-il envisager de tels actes sur sa mère ? Faut-il chercher une réponse du côté de son enfance ? Charly A. est évasif sur ses jeunes années. Il évoque bien la séparation douloureuse de ses parents, les violences de son beau-père à son égard mais jure n’avoir aucun grief contre sa mère. Et l’aimer « comme un fils aime sa mère ».
Devant la cour, il précise que ces discussions autour de sa mère ont été un « déclic » pour lui. A partir de ce moment-là, il ne répondra plus aux sollicitations de Dominique Pelicot. « Quand vous avez ces cachets dans la main, vous réalisez que derrière tout ça, il n’y a pas de consentement ? », l’interroge son avocat Me Christophe Huguenin-Virchaux. « Oui. »
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Pour autant, il ne parvient pas à admettre que Gisèle Pelicot n’était pas consentante. « Est-ce que vous pensez que dire « Je n’avais pas l’intention » suffit à dire que vous n’avez pas commis des faits de viols ? », insiste Me Babonneau. « Je n’avais pas l’intention », répète-t-il inlassablement.