France

Procès des viols de Mazan : Entre « le chef d’orchestre » Pelicot et « ses musiciens », l’écart des peines fait réagir

A la cour criminelle du Vaucluse,

Dominique Pelicot, d’un côté. Tous les autres accusés, de l’autre. Ainsi pourrait-on résumer le verdict rendu ce jeudi par la cour criminelle du Vaucluse. Certes, les magistrats ont estimé que tous ces hommes étaient coupables : deux « d’atteinte sexuelle aggravée », deux autres de « tentative de viol aggravé » et les 47 derniers de « viol aggravé ». Mais ils ont semblé opérer une distinction beaucoup plus nette que lors des réquisitions entre Dominique Pelicot – le « chef d’orchestre » – et les hommes qu’il invitait chez lui pour violer son épouse, Gisèle, droguée à son insu.

Sans surprise, le septuagénaire a été condamné à la peine maximale : vingt ans de réclusion criminelle, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers, période pendant laquelle il ne peut demander de libération conditionnelle. « En fin de peine, votre dossier sera réexaminé en vue d’une éventuelle rétention de sûreté », a ajouté le président. En entendant ces mots, celui qui était resté jusqu’alors assez flegmatique a semblé flancher. « Il est un peu hébété par cette période de sûreté », a confié son avocate Me Béatrice Zavarro, à la sortie de l’audience, précisant qu’elle réfléchissait à la possibilité d’interjeter appel.

« La cour a condamné le chef d’orchestre »

Et pour cause. Ce complément de peine, très rarement décerné, signifie qu’à l’issue de sa peine, Dominique Pelicot pourrait être placé dans un centre médico-judiciaire. Et donc ne jamais retrouver sa liberté. Ce dispositif, créé en 2008, ne s’applique qu’aux criminels dont la dangerosité est jugée très importante. Avant la fin de sa peine, « l’ogre de Mazan » passera donc devant une commission pluridisciplinaire qui décidera si un tel placement est nécessaire. « La cour a condamné le chef d’orchestre en faisant une différence entre lui et les musiciens qui composent cet orchestre », a estimé sa conseil.

Car si les magistrats ont été au-delà des réquisitions du parquet pour Dominique Pelicot, ils ont été largement en deçà pour ses cinquante coaccusés. Les avocats généraux avaient demandé à l’encontre des hommes accusés d’avoir violé Gisèle Pelicot des peines allant de dix à dix-huit ans de réclusion. Celles prononcées ce jeudi s’étalent entre deux ans ferme et quinze ans. Alors que le président égrène les peines, les enfants de la victime peinent à cacher leur agacement. A l’extérieur, les féministes qui manifestent sont ulcérées. « Justice complice », « honte à la justice », « appel du parquet »… scandent-elles en chœur.

Motivations du verdict

Certes, seuls neuf accusés sont repartis libres du tribunal dont trois sont sous le coup d’un mandat de dépôt différé et devraient bientôt retourner en prison. Mais ces peines sont, pour la majorité, inférieures à celles prononcées en France. Selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, les condamnations pour viols sont généralement de onze ans. La cour criminelle n’a pas encore rendu ses « motivations », c’est-à-dire l’explication détaillée du verdict, peine par peine. Impossible, donc, de savoir quels arguments ont pesé auprès des magistrats.

Pourquoi, par exemple, Jacques C. reconnu coupable de viol a été condamné à deux ans ferme ? Certes, il est le plus âgé des accusés mais les faits l’incriminant ne sont pas très différents de ceux qui ont parfois valu des peines trois fois plus lourdes à d’autres. Pourquoi certains hommes venus deux fois à Mazan ont les mêmes peines que d’autres qui ne s’y sont rendus qu’à une seule reprise ?

« C’est un pied de nez aux victimes »

« Comment peut-on être reconnu coupable de viol et être condamné à deux, trois, quatre ans de prison ? », interroge Sylvia, une des manifestantes féministes, rencontrée devant le palais de justice. Et d’insister : « Pour moi, c’est un pied de nez aux victimes. » D’autres militantes voient dans ce verdict un message d’impunité pour les auteurs de violences sexuelles. Certaines peines les choquent plus que d’autres. Jean-Pierre M., le disciple de Dominique Pelicot, qui a drogué et violé son épouse avec ce dernier, a été condamné à douze ans de réclusion. Les avocats généraux réclamaient cinq ans de plus. « Pourquoi n’a-t-il pas eu la même peine que Dominique Pelicot ? Il a soumis chimiquement sa femme pour la violer et la faire violer », insiste Jeanne, la vingtaine.

Des arguments balayés par les avocats de la défense. « Ce sont des peines conformes à la jurisprudence ordinaire, celle qu’on voit au quotidien », insiste Me Paul Roger Gontard. Son collègue, Me Louis-Alain Lemaire ne dit pas autre chose. « Les réquisitions étaient à la hache. La cour a fait un vrai travail d’individualisation », estime-t-il.

Reste désormais la question d’un éventuel appel. Pour les avocats et leurs clients, l’heure est à la réflexion et surtout aux calculs. Entre la détention provisoire déjà effectuée – souvent de vingt mois – et les jeux de remises de peine, les hommes condamnés à des peines de six, sept, huit ans de prison pourraient demander d’ici quelques mois, deux ans maximum, une libération conditionnelle. « Je me dis qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, poursuit Me Lemaire. Si on fait appel on passera devant une cour d’assises avec des jurés. Je me méfie de la vox populi. » Deux d’entre eux semblent toutefois déjà décidés à y aller.