Prison : Le portable est un « fléau » et un danger mais le fixe est trop cher, quel téléphone en prison ?

Faut-il autoriser les prisonniers à posséder un téléphone portable ? Leur interdiction « est largement contournée par les détenus, contraignant l’administration pénitentiaire à recourir à des brouilleurs d’ondes à l’efficacité très variable », observe la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans un avis publié mercredi au Journal officiel. Environ 40.000 portables ont, en effet, été saisis dans les prisons en 2024, selon le ministère de la Justice. Pour Dominique Simonnot, « une réflexion doit être engagée sur les possibilités d’un accès contrôlé » à ces appareils derrière les murs des établissements pénitentiaires alors que leur usage est devenu « si banal ».
Depuis 2019, des téléphones fixes, dont l’usage est limité à certains numéros, ont été installés dans chaque cellule. La CGLPL dénonce « le coût particulièrement élevé de la téléphonie » qui constitue « une barrière considérable à l’accès au téléphone des personnes détenues » : 8 centimes la minute vers un téléphone fixe, 18 centimes la minute vers un mobile. Cette ancienne plume du Canard enchaîné, à la tête, depuis octobre 2020, de cette autorité administrative indépendante, pointe aussi « le prix prohibitif » de la visiophonie. Un dispositif pourtant adapté « aux détenus ayant une déficience auditive ».
Des tarifs qui « incitent au contournement de la loi »
« La question du coût des appels ne doit pas être négligée », confirme à 20 Minutes Matthieu Quinquis, le président de l’Observatoire international des prisons (OIP). « On laisse régulièrement penser que la prison, c’est un peu le Club Med, que les détenus ont tout ce qu’ils veulent. Mais le téléphone est un exemple parmi de nombreux autres du fait que la prison, en réalité, c’est une surcharge financière pour les personnes détenues et pour leurs proches. Ça coûte extrêmement cher. Aujourd’hui plus personne à l’extérieur ne paierait des appels à ce prix-là, on trouverait ça indécent. Ce sont des sociétés privées qui profitent de ce système », explique-t-il.
Matthieu Quinquis souligne qu’il s’agit d’une « vraie difficulté pour les personnes détenues, qui sont souvent dans des situations de vulnérabilité et de précarité économique assez importantes ». Surtout, dit-il, les tarifs pratiqués « incitent au contournement de la loi et qui prive l’administration d’un certain nombre de mesures de contrôle auxquelles elle inspire ». « C’est contre productif de manière certaine. »
« Des combines » pour contourner les contrôles
« Il y a plusieurs moyens de faire rentrer des téléphones en détention : les parloirs, la complicité de gens qui travaillent en prison, les lanceurs, les drones… », expliquait récemment à 20 Minutes une source judiciaire.
Secrétaire général du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS), Christy Nicolas comprend qu’il soit, pour les détenus, « plus intéressant [financièrement] d’avoir un téléphone portable ». « C’est un vrai fléau, explique-t-il. On se retrouve avec des détenus qui ont plusieurs téléphones, si vous les saisissez, ils s’en procurent d’autres dans la journée. » Ils s’en servent pour téléphoner, mais aussi « pour aller sur Internet et les réseaux sociaux ». Certains sont même devenus des stars sur TikTok.
S’ils étaient autorisés, « il y aurait moins de conflits entre les personnels et les détenus ». Mais ils sont interdits, souligne-t-il, pour des raisons de sécurité. « Ils pourraient les utiliser pour se faire livrer des armes ou des explosifs », redoute-t-il. Les prisonniers pourraient aussi en faire usage « exercer des pressions sur des témoins ou des victimes », « menacer les personnels » de représailles à l’extérieur de l’établissement ou « continuer de gérer leurs affaires » durant leur incarcération.
Christy Nicolas ne croit pas que leurs appels, s’ils étaient passés avec des téléphones portables, pourraient être contrôlés. Les prisonniers ont déjà « des combines » lorsqu’ils utilisent les téléphones fixes installés dans les cellules. « Ils appellent un numéro enregistré et font un renvoi d’appel vers un autre numéro », raconte-t-il.
« Un discours de défaite » pour Gérald Darmanin
Le ministre de la Justice a admis que le système actuel de téléphonie en détention est « très vieillissant ». Le coût des communications passées par les détenus est « le plus cher de France », a reconnu Gérald Darmanin sur France Inter ce mercredi. « C’est un système délirant. » Il s’est engagé à « écouter » les propositions de la CGLPL. Mais il a prévenu que, pour lui, « accepter les téléphones portables partout » en détention constituerait « un discours de défaite ». Il indique que les détenus pourraient s’en servir pour commanditer « des assassinats » depuis leur cellule. Le garde des Sceaux cite l’exemple de Mohamed Amra, qui a sans doute « organisé » avec un téléphone portable son évasion au cours de laquelle deux agents pénitentiaires ont perdu la vie.
« C’est pour ça qu’on va discriminer les détenus », a fait savoir Gérald Darmanin. « Il y a ceux qui méritent d’être réinsérés très rapidement et donc le régime pénitentiaire doit être différent y compris dans la communication et puis il y a ceux qui sont des gens très dangereux et eux, on doit les priver absolument de toute communication extérieure. »