Pourra-t-on bientôt voler à bord de l’avion supersonique présenté comme le successeur du Concorde ?
Bientôt un nouveau Concorde dans les airs ? C’est la promesse de l’entreprise américaine Boom Supersonic et de son avion supersonique XB-1, présenté comme le futur successeur du célèbre avion d’Air France et British Airways qui volait à presque deux fois la vitesse du son. Le XB-1 a atteint une étape dans sa quête ambitieuse en franchissant pour la première fois, le 28 janvier, le mur du son au-dessus du désert de Mojave, en Californie. Une étape cruciale pour le modèle réduit de travail de l’appareil Overture, qui prévoit de transporter à vitesse supersonique entre 64 et 80 passagers par vol à partir de 2029. Un objectif vraiment réalisable ? Rien n’est moins sûr.
Pas du tout épaté par le projet de Boom Supersonic et par l’étape franchie par l’entreprise mardi, Michel Thorigny, pilote et ingénieur en propulsion aéronautique qui a exploité le Concorde pendant six ans, doute de la viabilité du futur avion et pointe de nombreuses difficultés à écarter avant de pouvoir le faire voler. La première : le problème du bang supersonique, entendu lorsqu’un objet franchit le mur du son et qui « fait énormément de bruit » et dont l’onde supersonique brise les vitres à faible attitude, décrit le spécialiste.
Des normes à respecter
« C’est ce qui a plombé le Concorde, qui n’avait pas le droit de voler en supersonique au-dessus des terres mais uniquement au-dessus de l’océan, complète Gérard Feldzer, président d’Aviation sans frontières. Il faut voir ce que donnera ce bang supersonique à l’échelle réelle », alors que l’Overture se veut plus silencieux que le Concorde grâce à une motorisation différente. Un point crucial pour Boom Supersonic, qui prévoit un rayon d’action de presque 8.000 kilomètres et plus de 600 liaisons dans le monde.
Autre difficulté majeure, la consommation d’un tel appareil, très coûteuse et polluante. « Les deux moments où un avion consomme le plus, toutes proportions gardées, c’est au décollage et à l’atterrissage », précise Michel Thorigny. Même en dehors de ces deux moments, « il va toujours y avoir le problème des émissions », confirme Gérard Feldzer.
Difficile, donc, de développer un avion qui respecte les règles en vigueur, notamment environnementales, alors même que l’aviation est pointée du doigt pour sa responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre. Boom Supersonic souhaite que son appareil soit en mesure de voler à 100 % avec des carburants d’origine non fossile, le rendant moins polluant et moins gourmand que le Concorde, mais rien n’est fait pour l’instant. « Concevoir un avion prend dix ans, on ne sait pas quelles seront les règles environnementales dans dix ans, indique Michel Thorigny. Donc c’est très compliqué de monter un projet, quel qu’il soit. »
Un contexte défavorable ?
D’autant plus que le contexte actuel est très différent de celui dans lequel a été conçu le Concorde, dans les années 1960 et 1970. « On était en plein milieu de la guerre froide, il y avait une compétition planétaire et absolue, retrace Michel Thorigny. Les Américains et les Russes voulaient marcher sur la Lune et nous, avec les Anglais, on a voulu faire un supersonique. Aujourd’hui, c’est totalement différent. Il faut faire voyager un maximum de gens, le plus loin possible, pour un prix minimum. Ce qui fait que nous n’avons plus que deux grands constructeurs, Boeing et Airbus, et ils ne font pas de supersonique. »
Si plusieurs projets d’un avion comme le Concorde ou plus rapide existent, comme ceux d’Aerion ou Spike Aerospace, celui de Boom Supersonic est le plus avancé, voire le seul réellement dans la course, avance Michel Thorigny. « Avant le Concorde, il y avait une multitude d’avions expérimentaux pour faire de la recherche sur tout ce qui était aérodynamique, puissance… » explique-t-il. Le fait qu’il y ait peu de prototypes en développement aujourd’hui constitue donc « une des raisons pour lesquelles [l’ingénieur n’est] pas très certain » de voir l’Overture aboutir. D’autant qu’un avion supersonique comme celui-ci coûte extrêmement cher à développer, ce qui demande « une grande capacité d’investissement, qu’un constructeur seul ne pas assumer », estime le spécialiste.
« Pas un successeur du Concorde »
Et si l’avion de Boom Supersonic voyait vraiment le jour ? « On ne pourra pas dire que c’est un successeur du Concorde », tranche Michel Thorigny. Pas hostile à l’idée et avançant que les « records sont faits pour être battus », il se dit simplement « réaliste » et affirme que « Boom Supersonic ne présente pas des caractéristiques supérieures à celles de Concorde ». L’Overture ambitionne de faire voler 64 à 80 passagers à Mach 1,7 (1.800 kilomètres/heure) et prévoit de rallier Miami à Londres en moins de cinq heures, alors que le Concorde, lui, transportait entre 100 et 110 passagers à Mach 2.02 (2.200 kilomètres/heure), reliant Paris et New York en trois heures et trente minutes.
Si Gérard Gérard Feldzer est, lui, plus optimiste et estime que « cet avion volera », il s’interroge sur son utilité. « Il y aura toujours des richissimes qui rêveront de faire un aller-retour dans la journée, mais est-ce que la vitesse est la priorité ? Pas vraiment. La priorité, c’est un avion silencieux, mais aussi et surtout un avion moins polluant », surtout à l’ère des visioconférences « qui marchent très bien ».
Le président d’Aviation sans frontières estime ainsi que l’Overture sera « un avion prototype, un avion laboratoire pour explorer la future version qui sera vertueuse du point de vue du bruit et de la pollution. » Une position que partage Michel Thorigny, qui voit le projet de Boom Supersonic comme un « avion expérimental » qui pourrait contribuer à la recherche « sur l’aérodynamique et les nouveaux matériaux ». En attendant, l’avion supersonique intéresse déjà les compagnies aériennes : Boom a déjà reçu un total de 130 commandes et précommandes de la part d’American Airlines, United Airlines et Japan Airlines.