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Pourquoi une partie des Américains soutiennent Luigi Mangione, suspecté du meurtre d’un PDG à New York ?

«Dans cette maison, Luigi Mangione est un héros, fin de l’histoire. » Sur Internet ou sur des produits dérivés (autocollants, vêtements…), les messages à la gloire du suspect du meurtre de Brian Thompson, le 4 décembre à New York, sont légion aux Etats-Unis. En quelques jours à peine, Luigi Mangione, arrêté après sa cavale, est devenu un phénomène de pop-culture américaine. Mais comment expliquer qu’un tueur présumé soit devenu le héros d’une partie de l’Amérique ?

Pour le comprendre, il faut se pencher sur les motivations présumées du suspect. Les enquêteurs ont notamment retrouvé un manifeste écrit par Luigi Mangione, dans lequel le jeune homme de 26 ans critique le système de santé « le plus coûteux du monde ». Il y dénonce des compagnies qui « continuent d’abuser de notre pays pour en tirer un immense profit », ajoutant : « franchement, ces parasites l’ont bien mérité ». Parmi ces « parasites », on retrouve UnitedHealthcare, la plus grosse compagnie d’assurances santé aux Etats-Unis… dont Brian Thompson était le PDG.

Un « crime politique » contre le capital

« Le système de santé américain est très violent », résume Olivier Richomme, professeur en civilisation américaine à l’université Lyon 2. En dehors d’un « filet de sécurité » réservé aux personnes âgées et handicapées, tout le système d’assurance est en effet privatisé, explique Marie Assaf, docteure en sciences politiques à l’EHESS, spécialisée sur les politiques sociales aux Etats-Unis. « Beaucoup de gens préfèrent vivre sans assurance, quitte à ne pas faire de soin et se mettre en danger », car les assurances privées « coûtent cher et il y a toujours un reste à charge », pointe-t-elle.

United Healthcare assure plus de 50 millions d’Américains, pour un chiffre d’affaires de 370 milliards de dollars et 16 milliards de dollars de bénéfices en 2023. Dans le même temps, la compagnie a opposé un taux de refus de ses assurés de 27 % en 2019, rapporte le New York Times. La crise des opiacés, qui « trouve sa source au sein des lobbys pharmaceutiques » et « ravage certains territoires », est liée à cette crise sociale autour de la santé.

« Il y a l’idée d’un abandon de l’Etat auprès du grand capital, qui tue impunément une partie de la population de manière plus ou moins directe », décrypte Marie Assaf. Les éléments sur le mobile possible de Luigi Mangione semblent justement indiquer qu’il considère Brian Thompson comme directement responsable de la mort de centaines de personnes. La vision d’un Luigi Mangione « qui venge le peuple victime d’une forme d’oppression économique » change donc son geste potentiel en « crime politique » acceptable, poursuit la spécialiste.

Une information « comme un spectacle » ?

La « validation » de ce meurtre par une partie de la population américaine est un symptôme de la « polarisation et de l’accroissement de la violence politique », qui séduit même chez les démocrates, dixit Marie Assaf. Fermant les yeux sur les idées politiques de Luigi Mangione, des électeurs de gauche applaudissent la mort d’un PDG. « Personne ne pleure pour eux », souligne Olivier Richomme, alors que les Américains viennent de réélire un Donald Trump « qui fera la part belle à ces assureurs ». Une contradiction qui symbolise « la société du spectacle » plutôt qu’un mouvement de protestation, se désole le professeur de civilisation américaine.

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« Il y a un vrai renversement des valeurs », selon lui, avec des informations « traitées comme une téléréalité » et regardées « avec détachement, en attendant le prochain épisode ». Car sur les chaînes d’information en continu, « on a éclipsé le débat de fond, on a suivi la chasse à l’homme, mais on ne parle pas de l’assurance maladie ni de l’accès aux armes à feu », dénonce-t-il. Olivier Richomme reconnaît toutefois la dimension sociale du fait divers. « Les assurances, ce n’est pas un corps de métier très bien vu, ça aurait pu être un banquier. Les élites sont prises en grippe. » La caisse de résonance des réseaux sociaux représente-t-elle vraiment l’opinion publique américaine ? Le succès des produits dérivés à la gloire de Luigi est un indice.