France

Pourquoi les oiseaux trépassent quand les tracteurs passent

Année après année, les gazouillis perdent en intensité. Moineaux, hirondelles, mésanges boréales, etc. Progressivement, le silence s’abat sur les jardins français. Le monde scientifique alerte depuis des années sur l’hécatombe mais le déclin des populations d’oiseaux poursuit son chemin, inexorablement.

Une nouvelle étude parue lundi dans la revue américaine Pnas (Proceedings of the National Academy of Sciences) pointe du doigt la responsabilité de l’agriculture intensive. Mais le déclin des oiseaux en Europe est-il si spectaculaire ? En quoi l’agriculture est-elle responsable ? 20 Minutes s’est penché sur ce nouveau signal d’alarme et ses conclusions, grâce à l’éclairage de l’ornithologue Alexandre Millon, maître de conférences à Aix-Marseille université.

Les oiseaux disparaissent-ils vraiment en Europe ?

« A l’échelle globale et sur le long terme, on peut parler d’un effondrement des populations d’oiseaux », regrette Alexandre Millon. Chaque année, 20 millions d’oiseaux disparaissent sur le vieux continent, d’après l’étude publiée ce lundi dans la revue américaine Pnas. En une quarantaine d’années, 800 millions d’individus ont disparu. Soit un quart des oiseaux d’Europe. « Certaines espèces s’en sortent mieux que d’autres. Mais globalement, il y a de plus en plus d’espèces en déclin voire en déclin très prononcé », note l’ornithologue qui a lui-même coécrit une étude sur les effets du changement climatique sur la reproduction des oiseaux.

« Certaines espèces très communes avant ont subi des pertes très importantes ces dernières décennies, comme les hirondelles rustiques ou les moineaux domestiques. La tourterelle des bois a perdu les trois quarts de ses effectifs à l’échelle européenne », illustre Alexandre Millon. « A l’échelle d’une génération humaine, on voit la différence. Or, pour qu’elle soit visible, ça signifie que les populations sont en très fort déclin », note le chercheur à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale. L’étude publiée ce lundi, met en exergue une baisse de 18 % des oiseaux forestiers. Elle monte à 28 % pour les oiseaux urbains. Et elle explose à 57 % pour les oiseaux du milieu agricole.

Pourquoi l’agriculture est-elle pointée du doigt ?

« L’intensification de l’agriculture, en particulier l’usage des pesticides et des engrais, représente la pression principale pour la plupart des déclins de populations d’oiseaux, en particulier ceux qui se nourrissent d’invertébrés », affirment les chercheurs dans leur article. « Grosso modo la moitié des espèces d’oiseaux dans le monde vont se nourrir d’insectes au moins à certains moments de leur cycle de vie », décrypte Alexandre Millon. Or, les invertébrés dont les oiseaux se nourrissent sont très touchés par l’agriculture intensive. « La perte d’habitat naturel, les pesticides, les intrants chimiques, les herbicides, ou encore les insecticides, c’est d’autant moins de nourriture pour les oiseaux », explique l’ornithologue. D’autant que la problématique va s’intensifier. La planète compte huit milliards d’êtres humains et un pic à 10,4 milliards est attendu dans les années 2080.

« Pour nourrir toutes ces personnes, on va devoir encore augmenter la production agricole. Vingt ou trente ans après avoir pointé du doigt l’agriculture – pas les agriculteurs mais la façon dont on consomme et se nourrit, on en est toujours au constat. C’est un peu désespérant », déclare Alexandre Millon. De plus, l’agriculture participe au réchauffement climatique. D’après l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui officie sous l’égide des Nations Unies, les activités agricoles sont responsables de près d’un tiers des émissions totales de gaz à effet de serre. Or, le réchauffement climatique contribue à décimer les populations d’oiseaux en Europe. Les espèces préférant le froid, comme la mésange boréale, ont subi un déclin de 40 %. « La plupart des effets du réchauffement climatique sont indirects sur les populations d’oiseaux, en réduisant la quantité de nourriture ou en changeant leur environnement », explique l’ornithologue.

Comment enrayer le phénomène ?

Alors que le déclin le plus spectaculaire des populations d’oiseaux se produit en milieu agricole, il est urgent de changer de modèle. « Il faut complètement repenser notre façon de nous nourrir et de sourcer cette nourriture », assure Alexandre Millon. « On a besoin de changements globaux pour avoir un effet positif sur les populations d’oiseaux. Il faut changer la pratique d’utilisation des sols et arrêter de grignoter les espaces naturels », explique-t-il, ajoutant que « la part de biodiversité laissée aux espèces sauvages se réduit de plus en plus ».

Pour mettre en place ces changements globaux, il faut « repenser notre agriculture en intégrant la biodiversité. Alors qu’à l’origine on pensait produire contre la nature, il faut aujourd’hui produire avec la nature ». « On peut produire à des niveaux tout à fait satisfaisants en termes de rendement pour les populations humaines avec des pratiques qui ont un impact réduit sur la nature », assure le chercheur qui met aussi en avant le rapprochement des producteurs et des consommateurs. 

Un changement de paradigme urgent, alors que près de la moitié des espèces sont en déclin dans le monde et qu’une sur huit est menacée d’extinction, notait en septembre l’ONG internationale BirdLife dans son rapport.