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Pourquoi la « Tara Polar Station », nouveau navire scientifique, est une véritable ISS du pôle Nord

Imaginez 12 personnes dans un navire piégé dans la glace et la nuit permanente au beau milieu de l’Arctique pendant six mois. Ce n’est pas le scénario d’un cauchemar ou d’un film d’horreur, mais bien celui de la vie à bord de la Tara Polar Station, le nouveau bateau d’exploration scientifique de la Fondation Tara Océan que 20 Minutes a pu visiter. A bord de la station qui étudiera l’Arctique sur une période de vingt ans, les membres de l’équipage vivront une expérience proche de celle des astronautes, et c’est Thomas Pesquet lui-même, parrain de la nouvelle station polaire, qui le dit : « Ce qui sur Terre et sur mer se rapproche le plus de l’aventure spatiale, c’est ce que vous avez devant vous : Tara Polar Station », a-t-il déclaré à l’occasion du baptême du navire, jeudi 24 avril.

« On a un peu les mêmes thématiques : on va se mettre dans un environnement extrême pour faire de la recherche qu’on ne peut pas faire ailleurs, développe l’astronaute. On a aussi les mêmes problématiques : la vie ensemble, difficile, le milieu qui est quand même assez dangereux, la nécessité de faire des réparations quand parfois on aimerait bien ne pas en faire et quand notre vie en dépend… » Et les similitudes ne s’arrêtent pas là, conduisant la Fondation Tara Océan à surnommer sa station polaire « l’ISS du pôle Nord ».

Un environnement hostile

Spécialement conçue pour être emprisonnée dans la glace et dériver avec elle, la Tara Polar Station a pour terrain d’étude l’Arctique, seul océan polaire de notre planète. L’hiver, l’équipage du navire, composé de six scientifiques, quatre marins, un journaliste de bord et un médecin, devra affronter des températures extérieures comprises entre -20 et -25 degrés, avec des pointes à -50 degrés, et une nuit constante pendant six mois d’affilée. Sans compter l’extrême éloignement : « C’est l’un des endroits les plus hostiles, les plus isolés de la planète », résume Loïc Vallette, responsable de la gestion technique à la Fondation Tara et capitaine de l’expédition Tara Océans.

Un environnement extrême et dangereux qui rappelle l’espace dans lequel évoluent les astronautes de la Station spatiale internationale, et qui force à l’autonomie totale : chaque expédition partira avec 10 tonnes de nourriture et une station de désalinisation pourra produire 300 litres d’eau potable par heure pour combler les besoins de la vie à bord, estimés à 1.000 litres par jour. Si les évacuations sanitaires restent possibles, tout comme depuis l’ISS, elles seront très difficiles, ainsi que l’assistance en cas de problème : « Il y a peu de moyens de recherche et de sauvetage dans cette zone, décrit Loïc Vallette. Dépêcher des hélicoptères en pleine nuit polaire, c’est loin d’être évident. »

Confinement et polyvalence

Qui dit isolement et environnement extrême dit aussi confinement, comme dans l’ISS : l’équipage d’hiver, qui restera à bord pendant huit mois dont six de nuit polaire permanente, devra vivre ensemble dans un espace restreint, un vrai « challenge auquel il faudra faire face », déclare Clémentine Moulin, directrice des opérations. « Le soir, on ne peut pas rentrer chez soi et faire son reset émotionnel, on peut simplement fermer la porte de sa cabine en sachant que, le lendemain, ça recommence avec les mêmes personnes. »

L'hiver, chaque membre de l'équipage aura sa propre cabine afin de pouvoir garder des moments seul pendant la longue nuit polaire.
L’hiver, chaque membre de l’équipage aura sa propre cabine afin de pouvoir garder des moments seul pendant la longue nuit polaire. - M. Minaca / 20 Minutes

Un équipage restreint, porté à 18 personnes pour les roulements de trois mois du printemps et de l’été, qui implique une forte polyvalence de chaque personne embarquée, à l’instar des missions spatiales. D’abord de la part des scientifiques, qui devront être « multitâches parce qu’ils ne seront que six et devront suivre les protocoles pour tous les autres qui restent à terre », explique Clémentine Moulin. Mais aussi de tous les autres membres de l’équipage, qu’ils soient journalistes, marins ou scientifiques, qui devront contribuer à la vie à bord et à la maintenance du bateau.

Sélection et formation spéciales

Cette vie embarquée et ces conditions atypiques nécessitent une sélection rigoureuse de l’équipage en amont. S’il ne sera pas aussi strict que celui des astronautes, « il y aura des exigences dans le recrutement, parce qu’on ne peut pas envoyer n’importe qui dans cet environnement-là, autant pour eux que pour le reste de l’équipe », abonde Loïc Vallette. Les membres des expéditions de la Tara Polar Station passeront notamment des tests d’aptitude médicale et psychologique.

Comme les astronautes, des formations très spécifiques aux conditions extrêmes seront dispensées à l’équipage, notamment des stages de survie « au cas où d’un coup on se retrouve sur la glace ». Les marins apprendront à réagir et à se défendre face aux ours polaires, les scientifiques se rendront au Canada pour se former dans une station scientifique, le médecin suivra un cursus spécifique au grand froid auprès de médecins de Chamonix… Il s’agira aussi de travailler la cohésion entre les membres de la mission, afin que les 12 personnes de différents pays et de disciplines différentes forment « un groupe qui s’entend bien et qui communique bien », décrit Clémentine Moulin.

Science spatiale et science océanique, même combat ?

Si les problématiques de l’équipage et ses conditions de vie rappellent celles des astronautes, les ponts entre le domaine spatial et les missions de la Tara Polar Station sont concrets quand il s’agit de la science : les travaux qui seront menés sur la station, dont l’objectif est d’étudier la biodiversité en Arctique, « vont alimenter » ceux sur la recherche de vie extraterrestre, explique Marcel Babin, l’un des responsables scientifiques du projet. « On a un océan liquide, recouvert d’une banquise, où on suspecte la présence d’organismes vivants, comme sur certaines lunes du système solaire [notamment Europa de Jupiter] », appuie-t-il.

Des similitudes qui poussent à la coopération : « On projette de tester un spectromètre de masse miniaturisé dans des conditions extrêmes qui pourrait, un jour, se retrouver sur une sonde envoyée sur une de ces lunes gelées », déclare même Clémentine Moulin. Le Cnes, l’agence spatiale française, est également partenaire scientifique du projet, notamment dans tout ce qui touche à la physiologie et à l’impact des conditions extrêmes sur les humains.

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Autant d’éléments qui attirent Thomas Pesquet, parrain du navire scientifique, qui prendrait bien son billet pour embarquer sur la Tara Polar Station… En attendant, l’astronaute souhaite bon vent à « l’ISS du pôle Nord » et encourage ses missions uniques, tout en prêchant, quand même, pour sa paroisse : « C’est super d’aller dans l’espace, il faut continuer, mais il faut aussi continuer à apprendre à connaître notre Terre, parce qu’on a des choses à régler ici aussi. »