Pourquoi Gérald Darmanin s’inspire-t-il du modèle italien pour ses super prisons pour narcos ?
La majorité des touristes vont à Rome pour admirer le Colisée, le Panthéon ou la fontaine de Trevi. Gérald Darmanin, lui, s’est rendu ce lundi dans la capitale italienne pour étudier le régime carcéral réservé aux mafieux. Le garde des Sceaux, qui a pour projet de regrouper les « 100 plus gros narcotrafiquants » dans « une prison de haute sécurité », a traversé les Alpes pour chercher l’inspiration.
Avant de s’entretenir avec son homologue, Carlo Nordio, et le procureur national anti-mafia et antiterrorisme, Giovanni Melillo, le ministre de la Justice devait visiter le Centre pénitentiaire romain de Rebibbia. Là-bas, une cinquantaine de détenus appartenant au crime organisé sont soumis à un régime d’isolement et de surveillance particulièrement dur.
Ce régime de détention est encadré par l’article 41 bis de la loi italienne de 2009, également appelé « Carcere Duro », « prison dure » en français. Il a été instauré en 1992 après les assassinats de deux juges anti-mafia, Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, par la Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Le but ? Empêcher les détenus de diriger leurs organisations depuis la prison en limitant les échanges avec l’extérieur.
Réservé aux condamnés les plus dangereux
Les prisonniers, considérés comme très dangereux, sont isolés en cellule et ne peuvent sortir que deux heures, par groupe de quatre. Ils sont surveillés par des gardes appartenant à un groupe spécial de la police pénitentiaire qui changent de prison tous les six mois.
Leur correspondance est contrôlée, et les visites limitées à une par mois, uniquement avec des membres de la famille, derrière une paroi de verre. Un entretien enregistré par les autorités carcérales. Les détenus n’ont le droit qu’à trois appels par semaine à leurs avocats. Enfin, les livres et les journaux envoyés de l’extérieur de la prison sont interdits. Selon des chiffres de février 2024, 725 détenus étaient soumis à ce régime carcéral, dont quatre terroristes, les autres appartenant aux principaux groupes mafieux et groupes criminels organisés de la péninsule.
Secrétaire générale Unité Magistrats FO, Béatrice Brugère estime que Gérald Darmanin « a eu raison de se rendre en Italie ». « Pour une fois, on a un ministre qui veut aller de l’avant. » Son syndicat s’est associé à FO direction pénitentiaire pour proposer la création de « prisons différenciées ». Des établissements « pour les ultracourtes peines, sur le modèle des Pays-Bas », d’autres « ultra-sécurisés, comme en Italie ou en Espagne ». « Ces deux pays ont choisi cette option il y a bien longtemps, alors que nous, nous sommes très en retard », poursuit-elle.
Une mesure « très adaptée à la réalité criminelle »
Fraîchement nommé place Vendôme, Gérald Darmanin avait d’abord proposé l’isolement en prison des principaux narcotrafiquants. « Cela ne pouvait pas être une idée pérenne, explique Béatrice Brugère. Le placement en quartier d’isolement doit être motivé. Il est limité dans le temps, et est susceptible de recours. » Il a depuis annoncé la création d’une « prison de haute sécurité » qui devrait ouvrir fin juillet. Deux autres ouvriront leurs portes d’ici deux ans. Elles pourront accueillir « plus de 600 » narcotrafiquants « particulièrement dangereux », a-t-il depuis précisé.
Béatrice Brugère salue une mesure « très adaptée à la réalité criminelle et à celle de la détention, qui a l’avantage de faire cesser la communication avec l’extérieur, la poursuite des activités criminelles et de limiter les possibilités d’évasion ». « C’est aussi un moyen de protéger les autres détenus d’une forme de contamination de la violence qui pourrait s’exercer sur eux », insiste la magistrate.
Taille des casseroles et des photos
Un article, publié en février 2019 dans La Revue des droits de l’homme, relevait « qu’un tel régime de détention est discutable et a été critiqué à plusieurs reprises, notamment par le Comité européen pour la prévention de la torture ». Son autrice, Pauline Sierakowska, remarquait que ce régime a été, depuis son introduction, « amplement critiqué et continue à être l’objet de débats » car il est « particulièrement rigide, limite les droits fondamentaux du détenu et participe de son isolement ». Dans un récent rapport, l’ONG Antigone, qui s’occupe des conditions des détenus en Italie, a dénoncé « certaines restrictions dont l’objectif semble être d’harceler davantage plutôt que de garantir la sécurité : par exemple la taille des casseroles autorisées ou le nombre et la taille des photos et livres pouvant être gardés dans la cellule ».
« Aller voir ce qui se passe ailleurs ne veut pas forcément dire répliquer à l’identique. On peut s’inspirer de ce qui fonctionne », tempère Béatrice Brugère. Et la magistrate de conclure : « Ce qui est sûr, c’est que chez nous, cela ne marche pas. Il n’y a pas de modèle de prison idéale, il n’y a que des modèles perfectibles. »