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Pourquoi autant de femmes écoutent des podcasts « true crime » ?

«Je ne peux plus m’endormir sans en écouter un ! » De Mcskyz, en passant par les threads horreur de Squeezie et le père des true crime Christophe Hondelatte, les émissions sur des faits divers ont toujours une place bien au chaud dans les oreilles des auditeurs. Surtout des auditrices comme Pauline qui « n’écoute que ça » pendant son temps libre. « Ça peut paraître morbide mais c’est reposant de se concentrer sur ces podcasts pour m’endormir. »

Elle est loin d’être la seule. Selon une étude menée en 2018 sur les médias et sociétés du Journal of Radio and Audio Media, 73 % des fans de podcasts true crime sont des femmes. Loin d’un côté malsain ou d’une curiosité très mal placée, cette sensibilité pour les faits divers chez les femmes s’explique plus logiquement et en dit long sur la société.

Derrière la brutalité de la narration et des crimes commis, il y a une véritable notion intellectuelle. « Il y a deux émotions prédominantes chez la femme et elle a besoin de les comprendre. D’abord, parce que la femme perçoit l’homme comme un prédateur et une menace potentielle. La première émotion est donc la peur. Cette peur génère un besoin de réassurance et un besoin de maîtrise et de contrôle », explique Robert Zuili, psychologue spécialiste des émotions.

« La peur nous projette dans le futur »

« Une femme, donc, qui écoute ou regarde une émission de faits divers peut se sentir en capacité d’anticiper et d’être plus sûre d’elle face à un prédateur. Ça sert de leçon parce qu’il y a toujours des rescapés dans ces affaires-là. Une femme qui regarde/écoute comment une autre s’en est sortie peut l’aider à bâtir des stratégies qu’elle peut utiliser si elle-même se retrouve en danger. » De Jacques Pradel à Fabrice Drouelle, les auditrices peuvent donc s’armer face aux hommes. Dans leur tête du moins.

« La deuxième émotion traitée est la colère. Parce qu’il s’est passé quelque chose de totalement injuste et en écoutant ça donne un pouvoir de participation active à l’enquête. Ces deux émotions ont un rapport au temps différent. La colère, on la trouve dans le passé, des actes qui ont été commis et qui ont constitué des préjudices très lourds et qu’on a besoin d’élaborer pour les rendre acceptables. Et puis la peur, elle nous projette dans le futur. On n’a pas peur d’hier, on a peur du lendemain. En écoutant des podcasts, la femme a l’impression de reprendre le contrôle sur sa vie future », ajoute le spécialiste.

En outre, des émotions chez les femmes, il existe également un caractère cognitif à cette passion pour les true crime. « On doit exercer son intelligence pour résoudre une énigme. Très souvent, face à une situation comme celle-là, la femme est tenue en haleine par le scenario, il y a une montée en tension, et elle peut se transformer en enquêtrice. Ce point-là est intéressant. Ce n’est pas seulement le fait de se dire « tiens, je suis intelligent je peux résoudre l’énigme », elle veut résoudre le problème et donc implicitement s’associer au processus de réparation du préjudice de la victime. Elle peut se dire qu’elle a contribué au fait que le coupable a été identifié et qu’il y a une justice. Parce que sinon, c’est inconcevable. »

Une solidarité avec les victimes

La dimension empathique est donc totalement liée à ces écoutes. « Une sorte de solidarité à l’égard des victimes. Ça permet aux femmes de se sentir loyal. Tandis que l’homme, lui, va plutôt s’identifier au prédateur », détaille Robert Zuili.

Mais pourquoi, comme Pauline, s’infliger un énième féminicide au fin fond du Wisconsin dans les oreilles avant de s’endormir ? « Le paradoxe, c’est que ça a un effet rassurant : quand on a peur et qu’on se projette dans un futur anxiogène et qu’on découvre des énigmes résolues, des victimes rescapées, ça a un effet de réassurance. C’est apaisant », développe le spécialiste des émotions pendant que l’homme va se poser, lui, devant un match. « L’homme va plus regarder des émissions sportives parce que les émotions sont intenses et très changeantes. Il va être plus sensible aux ascenseurs émotionnels. Ça va les prendre aux tripes. Ils ont besoin de cette adrénaline. »

Aussi parce qu’ils ont moins besoin de se préparer au danger. Car la question subsidiaire à ces podcasts c’est « pourquoi ce sont des hommes qui sont quasi toujours incriminés ? », lance Robert Zuili.