Poisson d’avril : Comment l’humour peut aider les bébés à améliorer leurs apprentissages

Si le travail est la santé, le rire est sans doute, lui, la clé de l’apprentissage. C’est ce que suggère une étude menée par deux chercheuses de l’université Paris-Nanterre, qui explorent depuis plusieurs années le lien entre humour et apprentissage chez les tout-petits. Un projet aussi mignon que surprenant, mais non moins sérieux, qui nous apprend non seulement que les bébés sont capables de percevoir et de produire de l’humour très tôt, mais aussi que ce dernier favorise l’apprentissage social dès les 12 mois de l’enfant.
C’est à Lauriane Rat-Fisher, spécialisée en neurosciences, et Rana Esseily, en psychologie du développement, que l’on doit le projet EmoLearn. Ce dernier se base sur les résultats d’une première étude publiée en 2015. Menée conjointement avec Jacqueline Fagard et Kevin O’Regan, deux chercheurs au CNRS, elle suggérait déjà « un effet massif de l’humour sur l’apprentissage social » chez les bébés âgés d’environ 18 mois. Les deux chercheuses veulent désormais savoir si ces résultats s’appliquent à un panel plus large (des bébés âgés de 12 à 24 mois) et comprendre les mécanismes impliqués.
90 % de réussite grâce au rire
C’est au sein du BabyLab de Nanterre que se poursuivent leurs travaux. Les bouts de chou y sont accueillis en compagnie d’un de leurs parents, puis mis à l’aise afin de se prêter à l’expérience dans les meilleures conditions. L’objectif est simple : découvrir si l’humour peut les aider à reproduire une tâche d’imitation complexe. A cette fin, une expérimentatrice montre à plusieurs reprises à l’enfant comment utiliser un râteau pour attraper un objet hors de portée, selon deux modalités : avec ou sans humour.
« Alors que les scores d’imitation atteignent environ 30 % dans la condition neutre, ils augmentent considérablement dans la condition humoristique. Cela peut varier en fonction de l’âge de l’enfant, mais nous avons observé plus de 90 % d’imitation chez les bébés qui ont ri lors de la démonstration humoristique », explique Lauriane Rat-Fisher. Et d’ajouter : « Nous avons également observé une augmentation de l’attention chez les bébés qui font face à une situation humoristique. En l’occurrence, l’attention joue aussi un rôle sur l’apprentissage ».
Des facteurs sociaux et culturels à l’étude
Fortes de ces premiers résultats, les chercheuses s’attellent désormais à comprendre les mécanismes impliqués dans ces situations destinées à faire rire les bébés. « Lors de la démonstration humoristique, plusieurs facteurs sont à prendre en compte », note Rana Esseily. « Il faut que la situation soit incongrue pour provoquer de la surprise, il faut de la répétition, une dimension sociale, mais aussi une affiliation entre la personne qui crée l’humour et celle qui le reçoit. Nous nous intéressons de près à ces facteurs, et nous tentons également de les isoler pour vérifier s’ils participent ou non à l’effet de l’humour sur l’apprentissage social ».
Dans le même temps, une doctorante rattachée au projet planche sur la question des différences interculturelles pouvant influencer les styles parentaux et les interactions humoristiques parents-enfants. « On sait déjà qu’il y a des différences culturelles dans la production et la perception de l’humour chez les adultes, avec des effets différents sur l’apprentissage », poursuit Lauriane Rat-Fisher.
Un constat que les scientifiques entendent désormais vérifier chez les plus petits. Elles souhaitent même aller plus loin en étudiant le rôle des interactions précoces parents-bébés, ainsi que les différents types d’humour utilisés spontanément par les parents au cours du développement de l’enfant.
Renforcer les liens parents-enfants
Les chercheuses ont complété l’expérience par diverses mesures physiologiques (battements cardiaques, température) pour comprendre ces mécanismes d’un point de vue interne. « Les émotions constituent un domaine très complexe, encore plus chez les bébés qui ne sont pas en mesure de nous dire ce qu’ils ressentent », souligne Rana Esseily. Les résultats suggèrent que les bébés qui rient sont ceux qui sont le moins stressés. Il est toutefois plus difficile de démontrer si c’est le rire qui les détend ou s’ils rient parce qu’ils sont détendus.
Reste à savoir ce que pourrait changer le projet EmoLearn à court et long terme. « Il est d’abord important de comprendre que l’humour apparaît très précocement dans le développement. Les bébés sont bel et bien capables de percevoir et de produire de l’humour », poursuit Rena Esseily. Et d’expliquer que ces conclusions pourraient permettre de « renforcer les liens avec les partenaires sociaux », notamment avec les parents. « Cela peut être utilisé en thérapie quand on comprend que l’humour peut jouer un rôle important dans les interactions précoces ».
Quant à l’apprentissage, ces résultats pourraient avoir un impact sur les différentes pédagogies mais à un âge plus avancé. Des études sont encore nécessaires pour comprendre comment l’humour peut améliorer l’apprentissage et dans quel contexte. Pour cela, les chercheuses rappellent que les bébés âgés de 12 à 24 mois sont toujours les bienvenus pour participer à l’étude. Il suffit de s’inscrire via le formulaire de contact sur le site d’EmoLearn, du BabyLab de Nanterre, ou sur les réseaux sociaux.