France

Plastique : « Ils sont où, les 30.000 points d’eau potable que la loi Agec a rendus obligatoire ? »

Depuis le 1er janvier 2022, les établissements recevant du public (ERP) accueillant plus de 300 personnes doivent mettre à disposition des points d’accès à l’eau potable. Et si le nombre de visiteurs est double, voire triple, des fontaines doivent être rajoutées en conséquence.

C’est une mesure de la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec), promulguée en février 2021. Mais, jusqu’à présent, elle est passée inaperçue, noyée parmi toutes celles instaurées par cette loi phare du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, et qui ambitionne de sortir la France du tout « jetable ».

No Plastic In My Sea est bien décidé à ne pas lâcher l’affaire. Dans une pétition lancée avec le soutien de plusieurs associations et personnalités, l’ONG demande des comptes en réclamant au plus vite les 30.000 points d’eau potable qui auraient déjà dû être installés depuis quinze mois. Muriel Papin, sa présidente, répond à 20 Minutes.

Qu’impose précisément la loi Agec depuis le 1er janvier 2022 ?

Elle est pleine d’ambitions, dont celles d’atteindre l’objectif de zéro emballage plastique à usage unique en 2040. Mais aussi, et c’est moins connu, de réduire par deux le nombre de bouteilles en plastique utilisées en France d’ici à 2030 par rapport à 2020. Pour atteindre ce second objectif, la loi Agec entend s’appuyer notamment sur l’obligation pour les ERP pouvant accueillir plus de 300 personnes simultanément de mettre à disposition au moins un point d’eau potable. Ça concerne principalement les aéroports, les gares, les centres commerciaux, les musées, les grosses stations-service… Ces points d’eau ne nécessitent pas toujours d’être sophistiqués. Ça peut être un robinet, du moment qu’il est signalé, accessible sans devoir payer, et que l’eau est tempérée.

Cette loi n’est aucunement appliquée à ce jour ?

Le ministère de la Transition écologique avait estimé à 30.000 le nombre de nouveaux points d’eau qui devaient être ouverts dans les lieux de forte affluence à la suite de cette loi. Quinze mois après son entrée en vigueur, notre question est  : « Où sont-ils ? ». On sait que Paris Aéroport a commencé à équiper ses aéroports de points d’eau, que celui de Bordeaux devrait bientôt l’être. De son côté, Gare & Connexions [filiale de SNCF Réseau en charge de l’exploitation des gares de voyageurs] a annoncé tester depuis ce mois deux fontaines conçues spécifiquement à Gare de l’Est et à Champs-de-Mars. Qu’une entreprise de cette dimension en soit toujours à faire des tests, ça nous semble très insuffisant. Surtout, sorti de ces quelques exemples, rien n’a vraiment bougé depuis le 1er janvier 2022.

Comment l’expliquer ?

Déjà, cette mesure reste très méconnue. La loi Agec était très dense, beaucoup de mesures en sont sorties et celle sur les points d’eau potable concerne de nombreux acteurs, issus d’organisations professionnelles différentes. Pas simple alors de faire passer l’information. 

Mais ce n’est pas une excuse et ça n’explique pas tout. Il y a aussi beaucoup d’attentisme, sans doute même des réticences, chez certains. Des bouteilles plastiques restent proposées à la vente dans l’enceinte de nombreux ERP, et certains ne veulent pas se froisser avec les prestataires à qui ils ont cédé de l’espace en installant des fontaines. 

Enfin, il y a une grande complaisance de l’Etat qui n’a, à notre connaissance, fait aucun contrôle à ce jour. 

Que pourraient permettre ces 30.000 nouveaux points d’eau potable ?

Un Français sur deux a aujourd’hui une gourde, et un sur trois l’emporte régulièrement dans ses déplacements. Offrir la possibilité de la remplir facilement vise tout simplement à améliorer ces pourcentages. A créer un écosystème qui va nous permettre, petit à petit, de nous passer de bouteilles en plastique, ou d’avoir la possibilité de le faire facilement.

L’enjeu est loin d’être anodin : 15 milliards de bouteilles en plastique sont vendues en France par an. C’est le premier déchet plastique à usage unique retrouvé sur les plages en Europe. Et les enjeux dépassent la pollution plastique. Alors qu’il faut se préparer à des épisodes caniculaires plus réguliers à l’avenir, il nous semble important de mailler l’espace public de fontaines gratuites. D’autant que le coût de l’eau vendu en bouteille plastique devient prohibitif. Dans les distributeurs en gare, son prix tourne autour de 2 euros.

Un article de Reporterre, du 20 février, évoque les difficultés rencontrées par les opérateurs de gare – Keolys, SNCF, RATP- lors des premiers tests de fontaines. Notamment en raison de l’utilisation qui peut en être faite et qui pose des questions d’hygiène (réalisation de toilettes corporelles, abreuvement d’animaux, contact direct de la bouche sur la buse de distribution…) Le déploiement de ces points d’eau est-il parfois plus compliqué qu’il n’y paraît ?

Effectivement, dans les endroits très ouverts comme les gares, où une surveillance est compliquée, il faut sans doute aller vers des fontaines plus sophistiquées. De celles dont on ne peut toucher le robinet et qui ne se déclenche que lorsqu’elles ont détecté une gourde dessous, à la manière de certaines machines à café qu’on trouve déjà dans bon nombre d’établissements recevant du public. Ces difficultés ne nous semblent pas insurmontables et auraient dû être résolues si on n’avait pas pris tant de retard.

Des intiatives inspirantes déjà lancées ?

Muriel Papin cite Eau de Paris, la régie autonome de la ville de Paris chargée de l’approvisionnement en eau, qui a maillé la capitale d’un réseau de 1.200 points d’eau potable dans la rue, dont 190 fontaines à boire. « En parallèle, Eau de Paris a lancé, en novembre 2021, « Ici je choisis l’eau de Paris », un second réseau de points d’eau potable, constitué cette fois de commerçants partenaires et qui s’engagent à remplir gratuitement les gourdes des passants », raconte Muriel Papin. L’opération compte à ce jour plus de 700 commerces partenaires et vise les 1.200 à horizon 2024.

Muriel Papin attire aussi l’attention sur Refill, une autre initiative inspirante, en Grande-Bretagne cette fois-ci. Cette campagne a été lancée par l’ONG City to sea pour aider les Britanniques à se passer de plastique. Elle s’est rapidement traduite par la création d’une application recensant les endroits où remplir sa gourde, mais aussi manger et boire des boissons chaudes avec l’assurance de générer le moins de déchets plastique. Leur carte interactive recense à ce jour 330.000 « refill stations », dont là encore de nombreux commerces embarqués dans la démarche. City to sea communique également sur le chiffre de 100.000 millions de bouteilles plastiques évitées grâce à cette campagne.