France

Petit-déjeuner : Dans les rayons des céréales pour enfants, la bataille croustillante du Nutri-Score

Depuis quelques années, le packaging des céréales pour enfants s’est doté d’un nouvel argument pour attirer l’œil. En plus des traditionnelles couleurs flashy et de l’animal en mascotte, quasiment tous les paquets abordent un Nutri-Score. Et celui-ci se montre souvent assez flatteur.

Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Serge Hercberg, médecin chercheur en nutrition et co-fondateur du label, retrace : « Lorsque le Nutri-Score a été créé en 2015, la plupart des céréales avaient un score de D ou E puisqu’ils contenaient quasi tous plus de 40, voire 50 grammes de sucre pour 100 grammes. Très rapidement, les fabricants ont modifié leur recette pour obtenir de meilleurs scores. » Selon une étude de l’UFC Que-Choisir, entre 2015 et 2023, la part de céréales pour petit-déjeuner classées A ou B est passé de 8 % à 38 %. Toujours selon cette étude, en 2023, pas moins de 97 % des céréales affichaient leur Nutri-Score, contre 26 % des produits en moyenne au supermarché.

Un argument marketing efficace

Le label a fait preuve de son impact sur les achats, selon une étude ScanUp x Circana datant de 2023. Toute catégories alimentaires confondues, par rapport à un produit sans aucune indication, un label A voit ses ventes augmenter de 6,3 %. Comptez 4,5 % pour le label B. Au contraire, un label E voit ses ventes chuter en moyenne de 6,9 %.

« Avec le Covid-19 et la vague healthy, la nourriture-santé a pris une place de plus en plus importante. Le consommateur est beaucoup plus vigilant qu’il y a dix ou quinze ans sur la qualité des produits », estime Sandrine Doppler, spécialiste du marketing alimentaire. L’impact sur la santé est devenu le troisième critère de choix lors d’un achat, selon une étude de l’Ifop en 2023, derrière le prix et le goût. Même quand il s’agit de satisfaire un marmot qui veut juste son shoot de sucre quotidien ? « C’est à double tranchant, poursuit la spécialiste. Il est vrai que certains parents cherchent à faire plaisir avant tout à leur enfant en axant sur le goût, qu’importe la qualité nutritionnelle. Mais l’idée de donner de la nourriture saine pour ses enfants est quand même assez répandue et valorisée. »

Déculpabilisation et changement de recettes

Clémentine Ugol-Bential, professeure et spécialiste des enjeux contemporains de l’alimentation à l’université de Bourgogne, a étudié spécifiquement l’impact du Nutri-Score des céréales sur les parents : « C’est une manière pour eux de se déculpabiliser par rapport à la qualité de cet achat. Cela permet aussi aux industriels d’afficher des arguments forts pour les parents, par exemple l’utilisation de céréales complètes ou un fort taux en fibres ». Comptez par exemple 9,3 grammes de fibres alimentaires et 8,7 grammes de protéines par 100 grammes pour les Miel Pops de Kellogg’s. Pour augmenter leur Nutri-Score, la plupart des céréales ont ainsi augmenté la quantité de ces deux éléments, fortement valorisés dans la notation.

« C’est l’une des vertus de ce barème, poursuit la professeure. Plus encore que de renseigner le consommateur, il pousse les industriels à adapter leurs recettes. Beaucoup de marques demandent régulièrement à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) comment se mettre en conformité avec un Nutri-Score positif, quel ingrédient changer ou diminuer… »

De réels efforts, mais est-ce suffisant ?

Exemple avec le célèbre Chocapic, « fort en chocolat » et de plus en plus faible en sucre. Plus précisément, une chute de 47 % en vingt ans, pour arriver à « seulement » 22 grammes de sucres pour 100 grammes. Enlevez également 56 % de sel, 29 % d’acides gras saturés et paf, ça fait un Nutri-Score A, obtenu en septembre 2022. L’occasion d’en faire la promotion, avec un spot publicitaire uniquement basé sur cet argument marketing.

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Mais 22 % de sucre, ça reste beaucoup dans un produit. Et voir les céréales chocolatées obtenir la meilleure note avait fait tousser plus d’un expert santé. « L’OMS est très claire sur les risques liés à la surconsommation de sucre, et le Nutri-Score ne reflétait pas assez cette réalité », souligne Lydiane Nabec, chercheuse à l’Inrae. Autre grief reconnu par Serge Hercberg : « Tout en saluant les réels efforts des marques, cela les plaçait au même rang d’aliment sain que les mueslis ou les flocons d’avoine, des céréales non transformées et n’ayant quasiment aucun sucre ». Décision fut donc prise fin 2023 de ré-ajuster le Nutri-Score et « d’être plus dur vis-à-vis des taux importants en sucre. Ce dernier est beaucoup plus sanctionné qu’auparavant dans le nouveau barème », détaille Lydiane Nabec.

Rétrogradation générale

Les Chocapic et Nesquik ont ainsi dégringolé de A à C, les Miel Pops de B à C, et les Lion de C à D. Selon une étude de Nutrients portant sur les céréales pour enfants (donc hors flocon d’avoine et Spécial K nature), la part des notes A et B est passée de 31 % à… 2,2 % suite à la révision du Nutri-Score. Sandrine Doppler se remémore : « Cela a provoqué l’ire de certaines marques. Bjorg ou Danone, par exemple, ont décidé de ne plus afficher le Nutri-Score après de telles rétrogradations. » Bjorg notamment a évoqué un manque de transparence sur le barème du Nutri-Score et une information non-indispensable. « Nos consommateurs nous connaissent déjà comme une marque nutritionnelle ».

Les produits Bjorg ont remplacé le Nutri-Score par le Planet-Score, très confondant à l’œil. Serge Hercberg se défend de tout excès de sévérité : « Même à C, les Chocapic, par exemple, sont récompensés de leurs efforts et plus valorisés que des céréales avec plus de sucre et notés D ou E. »

Mais ultime rebondissement : la France n’a publié aucun arrêté obligeant à réviser les Nutri-Score sur les packagings. De fait, les marques peuvent toujours mettre en avant les notes d’avant la révision de fin 2023, et vous pouvez trouver dans votre supermarché des Chocapic A ou des Miel-Pops B, alors que cette notation est obsolète depuis plus d’un an. Dans la guerre du petit-déjeuner, contourner les règles reste un jeu d’enfant.