France

« Petit apéro français »… La tomate cerise tricolore joue son va-tout pour chasser le Maroc de ses étals

C’est un emblème des apéros. A côté des chips et du saucisson, la tomate cerise est devenue l’atout végétal de la table basse, souvent plus portée sur le sel et les graisses que sur le fruit ou le légume. Au point que pour bon nombre de Français, il n’y a pas vraiment de saison de la tomate cerise. Même ceux qui se refusent à acheter des tomates en hiver craquent souvent pour ces petites boules rouges prêtes à consommer, comme un gage diététique. Sans vraiment se soucier d’où elles viennent, ni comment elles poussent.

Ce que les consommateurs français ignorent, c’est que ce fruit rond qui ne pèse que quelques grammes est au cœur d’une véritable guerre commerciale entre le Maroc et la France. Et devinez qui gagne ? Petit indice : pas nous. Les agriculteurs tricolores ne produisent que la moitié des tomates que nous consommons, le reste arrivant par camions depuis l’Afrique du nord ou l’Espagne. Le Maroc ayant choisi de se spécialiser dans le petit format, il inonde nos supermarchés et primeurs de ses produits, en grande partie grâce à un accord de libre-échange signé avec l’Union européenne.

Le patriotisme dans un emballage

Lassés de voir les tomates cerises marocaines envahir leurs étals, les maraîchers français ont décidé de répliquer. Prisonniers de cet accord de libre-échange, ils ont choisi de répondre avec une barquette unique faisant la promotion de leur production. Avec un emballage drapé d’un large bandeau bleu blanc rouge et de messages prônant la préférence nationale : « Oui ! A la souveraineté alimentaire française », peut-on lire en gros. Ou encore : « Petit apéro français ». Et enfin : un logo « Tomates de France » imprimé sur une carte tricolore du pays. Difficile de faire plus Français.

« Pendant longtemps, on ne trouvait les produits marocains qu’à l’automne ou en hiver, pendant notre saison basse. Maintenant, c’est toute l’année », analyse Ronan Collet, producteur de tomates à Noyal-Châtillon-sur-Seiche, près de Rennes. Mais pourquoi les Français achètent-ils des tomates cerises toute l’année ? « Car ils ont bonne conscience, ils veulent essayer d’avoir les 5 fruits et légumes par jour », glisse le maraîcher.

Les producteurs français de tomates ont lancé une barquette de tomates cerises faisant la promotion de la production nationale pour lutter contre la concurrence marocaine.
Les producteurs français de tomates ont lancé une barquette de tomates cerises faisant la promotion de la production nationale pour lutter contre la concurrence marocaine.  - C. Allain/20 Minutes

Pour tenter de faire front, l’ensemble des producteurs de tomates sous serre chauffée se sont donc mis d’accord sur une barquette unique. Un choix qui leur demande des sacrifices importants : chaque marque accepte de s’effacer et d’abaisser son prix pour tenter de concurrencer les produits du Maghreb. « Vous devriez les trouver autour de 1,19 ou 1,29 euro. Si c’est plus cher, c’est que le distributeur ne joue pas le jeu », explique Ronan Collet. Le prix reste un peu plus élevé que la barquette de tomates marocaines, vendue à 99 centimes tout au long de l’année. « On ne peut pas s’aligner. Mais on offre la garantie d’un produit de qualité et quasiment sans pesticides », poursuit le directeur de la coopérative de la région rennaise Solarenn, qui a produit 23.000 tonnes de tomates l’an dernier.

La main-d’œuvre est beaucoup plus chère

Face au tassement des prix de la traditionnelle tomate grappe, l’entreprise bretonne a développé sa gamme « petit fruit ». Elles sont nombreuses à avoir fait le même choix en France. « Parce que la valeur au kilo est trois fois supérieure », reconnaît Pierre-Yves Gestin, président de Savéol, premier producteur français, qui a sorti 74.000 tonnes de tomates de ses serres l’an passé. Mai si elle se vend plus cher, la « cerise » pose un problème majeur de compétitivité. Car elle n’offre pas les mêmes rendements à l’hectare et demande surtout plus de main-d’œuvre.

Sur ce point, la concurrence avec le concurrent du Maghreb est impossible. En France, la main-d’œuvre représente plus de 40 % du coût de revient de la tomate cerise. Et pourtant, on ne peut pas dire que les salaires proposés aux saisonniers soient mirobolants. Mais au Maroc, le coût de la main-d’œuvre est dix à quinze fois moins élevé. « Clairement, ça nous empêche de nous développer. On pourrait produire deux fois plus », assure Pierre-Yves Gestin.

L’an dernier, la profession s’était attaquée frontalement à la marque Azura, leader de ce marché d’export. Des opérations coup de poing avaient été menées dans des supermarchés, dans le but « d’afficher » les produits importés. Car la marque Azura entretient le flou, se gardant bien d’afficher les couleurs du Maroc sur sa barquette. Seule l’origine obligatoire du produit indique discrètement au consommateur d’où vient la tomate. « On a beaucoup de mal à savoir d’où elle vient. S’il ne cherche pas, le client ne le saura pas », prévient Ronan Collet, de Solarenn.

Des camions entiers faisant route vers la plateforme de Perpignan avaient été vidés par des producteurs français en pétard. Cette année, la profession plaide pour un apaisement. « On a décidé de renouer le dialogue, on pense pouvoir cohabiter », assure Ronan Collet. Le 22 avril, les associations de producteurs françaises et marocaines ont signé une déclaration commune lors du Salon international agricole du Maroc. L’intention est bonne. Mais on ignore combien de temps la trêve va durer.