« Personne ne comprend ma détresse »… Après quatre fausses couches, Clara regrette le manque d’empathie de soignants et de proches

La voix de Clara est joviale, souriante. Quand elle raconte son histoire, elle rigole même par moments. Mais au détour d’une phrase, son timbre se brise et on entend les larmes dans sa voix, laissant apparaître son extrême fatigue et sa profonde tristesse. Cela fait deux ans que la jeune femme de 32 ans essaie d’avoir un enfant avec son compagnon. Elle est tombée quatre fois enceinte, mais toutes ses grossesses se sont soldées par une fausse couche ou un « arrêt naturel de grossesse » comme elle préfère la nommer. « Car cela n’a rien de faux. » Ni l’image de l’embryon à l’échographie, ni le canapé inondé de sang, ni le fœtus retrouvé au fond de la cuvette de ses toilettes.
Sa dernière fin de grossesse a eu lieu il y a un mois. Le traumatisme est encore frais, à la fois pour son corps mais aussi pour sa psyché. Clara en veut aux soignants, dont beaucoup ont manqué d’empathie. Mais aussi à des proches, dont les remarques l’ont profondément blessée.
Un canapé inondé de sang
Lors de sa deuxième grossesse, en 2024, à dix semaines, elle saigne un peu, puis commence à ressentir de fortes douleurs au niveau du ventre. La jeune femme appelle l’hôpital. « Ils m’ont demandé combien de serviettes hygiéniques je remplissais en une heure. Quand je leur ai expliqué que je perdais seulement quelques gouttes, ils m’ont dit que ce n’était pas grave. »
A mesure que les heures passent, Clara saigne de plus en plus. Elle se rend aux urgences et est reçue par une interne qui lui fait passer une échographie pelvienne. « Le fœtus était encore là. Elle m’a seulement dit “il est très bas” et m’a dit de vivre normalement. » Clara garde espoir. Mais une demi-heure plus tard, elle inonde son canapé de sang. « J’ai couru vers les toilettes et j’ai entendu un plouf. C’était gros… J’ai perdu le bébé. Enfin… mon conjoint me dit d’arrêter de l’appeler « le bébé », mais c’est ce que je ressens. »
« Ma gynéco m’a dit “désolée pour vous” et m’a bloquée »
Le lendemain, Clara annonce la mauvaise nouvelle à sa gynécologue, par message, sur Doctolib. « Elle m’a dit “désolée pour vous”. Et quand je lui ai demandé si elle pouvait me recevoir, elle ne m’a plus répondu et a bloqué la conversation. J’étais sidérée. Je lui en veux tellement… Je ne comprends pas qu’on puisse laisser une femme dans une telle détresse. Évidemment, j’ai changé de gynéco. »
Lors de sa troisième grossesse, à neuf semaines, le fœtus est un peu petit mais il a une activité cardiaque. Clara se rend à l’échographie suivante sans son conjoint, persuadée que tout allait bien se passer. « Là, la gynécologue m’annonce, avec beaucoup d’empathie, que le cœur ne bat plus. Je ne m’y attendais pas du tout car je n’avais aucun symptôme. »
Les remarques déplacées des proches
Clara doit se rendre à l’hôpital pour prendre un médicament facilitant l’expulsion de l’embryon. Là-bas, elle tombe sur une gynécologue bienveillante et à l’écoute. « Elle s’est assise sur mon lit et m’a parlé pendant 45 minutes des expériences de ses différents patients. Je me suis sentie bien. Ça changeait de celle que j’avais eue aux urgences qui m’avait dit “des fausses couches, c’est tout le temps, c’est une femme sur quatre, vous en ferez peut-être d’autres.” »
Les mots des soignants ne sont pas les seuls à pouvoir blesser, car les remarques déplacées peuvent aussi venir de proches. « Une personne m’a dit “il vaut mieux ça plutôt qu’un enfant handicapé”. Une autre ne comprenait pas pourquoi je ne m’occupais pas de ses enfants alors que ma grossesse s’était arrêtée quelques jours avant. Les gens s’étonnent aussi que je sois très fatiguée mais une fausse couche, c’est douloureux, mentalement et physiquement. »
« Pourquoi les autres y arrivent et pas moi ? »
Aucune de ses amies n’ayant vécu de fin naturelle de grossesse, Clara se sent très seule. « Personne ne comprend ma détresse et j’ai l’impression de saouler les gens avec ça, donc je finis par le garder pour moi. » Elle voit un psychologue depuis peu de temps mais pense que c’est seulement en devenant mère qu’elle ira mieux. Depuis, la vision de ventres ronds lui est devenue insupportable. Car elle n’arrive pas à s’ôter une question de la tête : « Pourquoi les autres y arrivent et pas moi ? On se sent coupable et nulle. »
Une culpabilité d’autant plus grande que des proches justifient ses fausses couches par son stress. « Il faut le rappeler : les femmes ne sont responsables de rien, insiste le gynécologue obstétricien Geoffroy Robin. Ce n’est pas parce qu’elles ont trop travaillé, ni qu’elles ont dansé, ni qu’elles ont fait une nuit blanche, ni qu’elles sont stressées. »
Aucune explication malgré un bilan
Mais alors, comment l’expliquer ? « On m’a dit que j’avais de l’endométriose, un syndrome des ovaires polykystiques. Tous les mois, j’avais un nouveau diagnostic, souffle Clara. Mon conjoint a un spermogramme très mauvais, mais toutes les grossesses que j’ai eues étaient pourtant naturelles. »
Comme toutes les femmes ayant vécu des fausses couches à répétition, elle a dû passer une batterie d’examens afin de vérifier qu’il n’y avait pas de maladie associée ou de cause génétique. « Cela n’a rien donné. Ils n’ont aucune explication. » Pas étonnant, selon la gynécologue obstétricienne Meryam Cheloufi. « Dans la moitié des cas, après le bilan, on ne retrouve pas de cause », souligne la médecin qui a créé une unité dédiée aux grossesses arrêtées à répétition à l’hôpital Trousseau, dans le 12e arrondissement de Paris.
« Mon conjoint en parle peu »
Heureusement, Clara peut compter sur le soutien indéfectible de sa mère et de sa sœur. « Ma mère est médecin, et elle m’a confié qu’elle n’avait pas vraiment conscience de ce qu’était véritablement une fausse couche avant que j’en vive une. » La jeune femme pense aussi à son amoureux. « Mon conjoint en parle peu, il a tendance à tout garder pour lui et à faire beaucoup de sport pour compenser, mais je pense qu’il doit aussi souffrir de la situation. »
Clara regrette une prise en charge médicale « médiocre » et espère que si elle doit de nouveau traverser une fausse couche, elle sera accompagnée par un professionnel à l’écoute. « La littérature scientifique montre que c’est le fait d’essayer qui fait que ça fonctionnera, assure le docteur Robin. Mais si une femme est traumatisée par sa prise en charge, il y a un risque qu’elle abandonne. D’où l’intérêt d’un accompagnement bienveillant. » Clara continue à se battre. Si elle s’est plusieurs fois sentie abattue et a déjà songé à l’adoption, elle n’est pas prête à renoncer à son désir de maternité.