France

Personnalités et anonymes LGBT se racontent sans fard sur France 2

« Dix ans après le vote du mariage pour tous, est-il plus simple d’être homosexuel (le) en France ? » C’est la question que se pose France Télévisions à la veille de la journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Ce mardi soir, France 2 diffuse à 21h10 Homos en France, un documentaire réalisé par Aurélia Perreau et raconté par le comédien Vincent Dedienne. Cette soirée spéciale se poursuivra ensuite par un débat présenté par Julian Bugier.

Comment se construire à l’enfance et à l’adolescence quand on se sent « différent », que l’on manque de modèles et que souvent sa propre famille renie qui on est ? Comment faire face au rejet, au harcèlement, aux agressions, que l’on soit lycéen ou retraité ? Mêlant des témoignages et des images d’archives, ce film aborde tous les âges de la vie, les bonheurs comme les drames, ainsi que les victoires et les défaites de la lutte contre l’homophobie. Car malgré des avancées sociétales notables, à l’image du mariage pour tous en 2013, la réalité est glaçante : les jeunes personnes LGBT sont jusqu’à sept fois plus exposées au risque de suicide que les jeunes hétérosexuels (selon plusieurs études compilées par Santé publique France rapportées par Francetvinfo). Quant aux injures et violences physiques homophobes, elles sont en constante augmentation depuis 10 ans.

Aussi instructif qu’émouvant, ce film choral donne la parole à un panel très large d’intervenants : des personnalités connues comme les chanteuses Angèle et Catherine Lara, l’ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis Gérard Araud ou encore le journaliste Jean-Baptiste Marteau. On y retrouve aussi d’autres parcours de vie, ceux de personnes âgées de 16 à 70 ans, qui toutes et tous se livrent face caméra et témoignent avec courage de ce qu’est être gay, lesbienne, bi ou pansexuel en 2023.

« Donner la parole à des personnes qu’on entend moins »

Ce documentaire, Aurélia Perreau le nourrit depuis son précédent projet, le film « Noirs en France » coécrit avec Alain Mabanckou en 2022. Il lui était alors apparu que de nombreux parallèles existaient entre les victimes de racisme et celles d’homophobie. « J’entendais des histoires similaires qui se répétaient tout le temps, de l’enfance à l’âge adulte, explique la réalisatrice à 20 Minutes. Tout comme on ne choisit pas sa couleur de peau, on ne choisit pas son orientation sexuelle. » L’idée était alors de s’attaquer aux clichés et aux stéréotypes, mais aussi de « faire un bilan ». « Jusqu’en 1982, l’homosexualité était considérée comme un délit. Et jusqu’en 1992, comme une maladie psychiatrique. C’était il y a à peine 30 ans. Où en est-on aujourd’hui ? Concrètement, qu’est-ce qui a changé dans le quotidien des gays et des lesbiennes de France ? », s’interroge-t-elle.

Pour le comprendre, il fallait donc donner la parole aux intéressés, si possible des personnes très différentes. « On voulait des gens qui soient de tous les âges et de tous les horizons, de toute la France et pas seulement de Paris. On voulait donner la parole à des personnes qu’on entend moins », précise-t-elle. Dans le film, se dévoilent un lycéen près de Valenciennes, un commercial en banlieue parisienne, une paysagiste dans le Poitou ou encore un retraité dans le sud de la France.

Cette diversité de points de vue, c’est notamment ce qui a plu au présentateur Jean-Baptiste Marteau, visage connu des téléspectateurs de France 2, qui se livre aussi à cœur ouvert. « Pour faire un bon film, permettre notamment aux gens qui n’ont pas d’homos dans leur entourage d’enlever les clichés qu’ils peuvent avoir dans la tête et voir la réalité telle qu’elle est, il faut des témoignages. Il faut que ça passe par l’humain pour justement casser les peurs, les fantasmes et les phobies qu’il pourrait y avoir. » Une démarche rassurante, d’autant plus que sur le sujet, un tel film aurait pu être « un peu casse-gueule » précise le journaliste. « Enchaîner les poncifs et les gros clichés quand on parle d’homosexualité c’est très facile et les éviter est beaucoup plus compliqué. Au contraire, c’est un film sensible et touchant », estime-t-il.

« Non, vous n’êtes pas seuls »

Parmi ces histoires, il y a notamment celle d’Arwen, une lycéenne de 16 ans qui confie avec pudeur ce qu’est le quotidien d’une jeune lesbienne, entre harcèlement, sexisme et phobie scolaire. Ou encore le parcours de Mfaomé, qui navigue entre son métier de commercial et sa passion pour les ballroom, tout en cachant son homosexualité à ses proches. « Au moins quand tu es noir, tu n’as pas à l’annoncer à ta mère », dit-il avec amertume. Enfin, il y a aussi Bernard, septuagénaire, forcé à l’adolescence par ses parents de suivre une « thérapie de conversion ». Ce témoignage poignant rappelle qu’il aura fallu attendre 2022 pour interdire ces pratiques inhumaines.

Jean-Baptiste Marteau lui aussi revient sur des époques difficiles de sa vie. « L’enregistrement a duré trois heures et j’en suis sorti épuisé. On est beaucoup à avoir traversé la même chose, l’adolescence ce n’est vraiment pas une période heureuse. Ce sont des insultes à l’école, le sentiment d’être absolument seul, avoir des milliards de questions dans la tête et personne à qui en parler », explique-t-il. Pourquoi accepter d’en parler maintenant ? « Aujourd’hui je suis bien dans ma vie perso et heureux dans ma vie professionnelle. Je le fais un peu par devoir vis-à-vis de ceux qui se posent des questions et se sentent seuls dans ce qu’ils traversent. J’ai envie de leur dire “non, vous n’êtes pas seuls”. J’aurais rêvé à ce moment-là d’avoir des visages, des incarnations de gens qui me ressemblent et qui me disent juste “tu vas voir, ça va le faire, ça ne va pas être si compliqué que ça” », dit-il.

« Il faut expliquer quelle est la réalité »

Et c’est bien l’un des objectifs de ce documentaire, mettre en lumière des trajectoires multiples et faire bouger les lignes. C’est aussi l’une des missions du service public. « Quand on voit dans quelle mesure la télé a participé à véhiculer des clichés, faire une émission à contre-courant et voir la jeunesse qui en parle, je pense que ça va avoir un impact. L’idée n’est pas de pointer l’homophobie, qui est notamment due à de l’ignorance, il faut expliquer quelle est la réalité », assure la réalisatrice Aurélia Perreau.

« Oui, il y a le risque de se dire qu’on ne va convaincre que les convaincus, ajoute Jean-Baptiste Marteau. Mais je ne pense pas, pas quand vous diffusez un programme en prime time sur France 2 à une heure de grande écoute, vous allez avoir des gens de tous horizons qui vont le voir, avec leur famille, avec des amis. Ils vont en parler le lendemain au travail. Et c’est quelque chose qui irradie ensuite toute la société. On n’arrive pas à convaincre tout le monde, il restera encore plein d’homophobes après, je ne me fais pas du tout d’illusions, je ne suis pas complètement naïf. Mais je sais qu’on arrivera à faire changer le regard de certaines personnes et à en aider certaines autres. »