France

« Pékin Express » : Comment l’émission de M6 a participé à l’essor des voyages sac au dos

Routard, bourlingueur, backpacker… Il y a bien des mots pour désigner celui ou celle qui voyage sac au dos, sans plan pré-établi. Depuis le 15 janvier 2006, lorsque le premier épisode de la première saison de l’émission Pékin Express a été diffusé sur M6, les candidats de l’émission se glissent dans la peau de ces voyageurs dans différents pays du monde. Avec seulement un euro par jour et par personne et l’essentiel de leurs bagages contenus dans un sac rouge, ils s’immiscent dans différentes cultures en s’appuyant sur la solidarité des populations locales.

Depuis les années 2000, partir sac au dos, sans grande ressource pour se confronter à une réalité hors des sentiers battus est devenu un idéal. Inspirés par Pékin Express ou pas, de nombreux voyageurs s’envolent pour d’autres horizons avec l’espoir de vivre une aventure unique tout en découvrant de nouvelles cultures. Quel rôle a joué le programme d’aventure présenté par Stéphane Rotenberg dans l’essor du backpacking ? 20 Minutes a mené l’enquête.

Une moyenne de 40.000 candidatures par saison

« On n’avait jamais fait ça, on était habitués aux voyages scolaires, aux voyages entre amis avec une valise », explique Tanguy à 20 Minutes. Éliminé avec son cousin Florian lors de la troisième étape de Pékin Express : le choix secret. L’étudiant de 21 ans a pu « rencontrer plein de personnes extraordinaires, voir qu’au bout du monde il y a aussi une vie avec des personnes très chaleureuses ». Son cousin évoque une aventure unique en raison des quinze kilos à porter chaque jour sur son dos.

Si les cousins Basques ont dû candidater à deux reprises avant d’être sélectionnés pour participer à l’aventure, chaque année depuis que la production reçoit les candidatures par mail, près de 40.000 personnes tentent leur chance. « Pour les saisons organisées pendant et juste après la pandémie de Covid-19, on a dépassé tous les records avec 90.000 candidatures environ », précise Thierry Guillaume, le producteur de l’émission.

Selon la production, Pékin Express surfe sur le « vieux mythe du routard en sac à dos » depuis ses débuts. « C’est quelque chose que nous n’avons pas inventé mais qui est présent dans l’imaginaire des gens », souligne Thierry Guillaume.

Émissions et road movie des années 2000

C’est dans les années 1970 que la figure du backpacker naît pour la première fois. De nombreux voyageurs, alors considérés comme des hippies, se démunissent de tout pour prendre la route de l’Europe à l’Asie et inversement. Motivés par une volonté de s’affranchir d’une vie trop sédentaire, ils en profitent pour partir à la découverte des modes de vies et philosophies asiatiques jusqu’à finir dans l’extrême pauvreté. Ce type de voyage s’étendra ensuite à d’autres destinations tout en restant à la marge d’un tourisme de masse.

Dans le courant des années 2000, les médias donnent un coup d’accélérateur au voyage avec pour seul bagage son sac à dos. « En plus de Pékin Express en 2006, le film Into the wild sort en 2007. Ce film sert alors de nouveau modèle de voyage. C’est un road movie très souvent cité comme référence par des blogueurs voyage », indique Héloïse Van Appelghem, chercheuse en études cinématographiques et audiovisuelles. Elle évoque encore d’autres séries documentaires telles et J’irai dormir chez vous (2005) et Nus et culottés (2012) où « on cherche à remettre au centre les relations humaines parfois en se démunissant de tout ».

En travaillant sur le public de ces programmes, la docteure en information et communication à l’Université de Toulouse Nawel Chaouni, a observé qu’ils et elles étaient déjà à l’aise avec l’idée de partir à leur tour à l’aventure. « Au départ on avait les carnets de voyage qui influaient sur la motivation de partir dans telle ou telle destination. Maintenant on a de plus en plus de contenus qui influent sur les destinations mais aussi les bons plans, les bonnes pratiques, les retours d’expériences », analyse-t-elle. Ainsi les émissions donnent des idées d’itinéraires ou de pratiques, tout comme les blogs ou les influenceurs, arrivés plus tard dans le grand champ encourageant à ce type de voyages.

« Le backpacker n’est plus vraiment marginal »

Outre les modèles fleurissant sur grand et petit écran, la démocratisation du tourisme concourt aussi à permettre à un plus grand nombre d’individus d’envisager ce type de voyage. Après la mue de Ryanair dans les années 1990 vers des vols moins chers, l’Europe voit arriver d’autres compagnies aériennes telles que EasyJet, Virgin Express, Air One, Go… Les compagnies traditionnelles leur emboîteront le pas avec leurs propres offres à bas prix. « De plus en plus de personnes voyagent sans forcément avoir les moyens qu’avaient les personnes en capacité de voyager sans ces vols à bas coûts », selon Nawel Chaouni.

Ces nouveaux voyageurs voient parfois dans ce type de voyage la possibilité d’économiser une fois arrivés sur place. D’autant que la création de plateforme telles que Couchsurfing en 2004, qui offre aux touristes la possibilité d’être hébergé chez l’habitant à moindre coût participe aussi à cet idéal d’un voyage dépaysant et peu coûteux.

« Ce qui est recherché de façon collective, c’est un retour symbolique à l’essentiel, au plaisir de l’imprévu », observe Héloïse Van Appelghem. Elle constate une distinction entre la figure du voyageur, dont la « figure romantique » est plus valorisée, par rapport à celle du touriste. « Il y a une sorte désir d’anticonformisme même si paradoxalement la figure du backpacker est devenue plutôt conformiste. Cette figure existait déjà mais elle a été réactualisée et n’est plus vraiment une figure marginale. »

« On ne voyage plus avec le même esprit »

Sans pour autant avoir fait émerger les backpackers, Pékin Express inspire directement certaines initiatives. Depuis 2017, Raphaël Pedrano et Jean-Marie Bernard proposent au grand public de se lancer dans « On the road a game », un voyage au budget limité et à la destination inconnue, qui reprend les codes de l’émission. Sur leur chemin, les participants participent à des épreuves et sont encouragés à dormir chez les locaux. L’objectif est de « proposer [aux participants] la rencontre la plus originale et la plus sincère possible avec les pays traversés », insiste Karim Binon, devenu co-pilote du projet après avoir fait partie des premiers aventuriers à tester l’expédition.

« On constate à chaque relance de l’émission sur M6 que les gens cherchent vraiment à faire ce genre de voyage se réjouit-il. Avec mon épouse, on a toujours été de grands voyageurs mais on ne s’était jamais permis ce type d’aventure. Le faire dans le cadre d’une émission nous plaisait mais on savait qu’on ne serait pas sélectionnés car mon épouse est en fauteuil roulant. « On the road a game » nous a ouvert les yeux, on ne voyage plus avec le même esprit. »

Car cette façon de voyager inspirée de l’émission de M6 est encadrée de manière stricte, tout comme dans le programme. « Je dis toujours aux candidats que c’est un programme à risque », contredit malgré tout Thierry Guillaume. Car les candidats voyagent dans les véhicules des chauffeurs qu’ils ne connaissent pas ou dorment chez des hôtes rencontrés le jour même. « Mais les contraintes de tournage et du jeu garantissent quand même plus de sécurité », reconnaît-il.

A la télé comme dans la réalité, un Européen en voyage à l’étranger peut se voir comme un aventurier mais cela ne changera jamais sa condition privilégiée. « Il ne faut pas oublier que le voyage reste une pratique de luxe même si ça s’est démocratisé pour les Occidentaux », conclut Héloïse Van Appelghem.