France

Peintures volées et objets contrefaits : portraits des enquêteurs d’art.

L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) a en moyenne entre 1.000 et 1.300 enquêtes ouvertes pour des vols de biens culturels par an. Actuellement, plus de 95.000 objets volés sont recensés dans la base de données de l’OCBC.


C’est un mélange d’Indiana Jones et d’Hercule Poirot. Une trentaine d’enquêteurs, gendarmes et policiers de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) sont chargés de retrouver les objets, bijoux et œuvres d’art qui ont été volés, pillés ou cambriolés.

Co-saisis dans l’enquête sur le cambriolage du Louvre avec la Brigade de répression du banditisme (BRB), ces enquêteurs spécialisés se consacrent au trafic de biens culturels et œuvrent pour la restitution des objets précieux du patrimoine national ou privé. Jean-Baptiste Félicité, colonel de gendarmerie à l’OCBC, explique les missions et l’ampleur du travail de ces enquêteurs discrets à la recherche de trésors. Entretien.

L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels a des compétences judiciaires pour enquêter, soit de manière autonome, soit en co-saisine avec d’autres services régionaux ou étrangers. Il suit spécialement tout ce qui concerne le trafic de biens culturels : vol, recels, faux, contrefaçons, pillage archéologique en France ou à l’étranger, ainsi que les transactions sur le territoire, le blanchiment… Ainsi, son approche est assez large.

Il est également chargé d’établir un état des menaces dans son domaine pour échanger avec les autorités judiciaires, d’autres services de police, de gendarmerie et de renseignement.

Les enquêteurs sont principalement des passionnés d’art. Beaucoup ont un intérêt personnel pour ces domaines. Lorsqu’ils candidatent pour rejoindre l’OCBC, ils combinent un loisir et leur profession. Certains ont une expérience dans les métiers de l’art, mais l’effectif étant réduit, ce savoir pointu s’acquiert en partie par compagnonnage.

Comme toute enquête, celle-ci implique des actes de police, des auditions de plaintes, des confrontations de témoignages et la recherche de la dernière personne ayant vu l’œuvre. Il peut également y avoir des prélèvements, surtout en cas d’effraction telle qu’une vitrine ou une fenêtre brisée.

La priorité de l’OCBC est d’interpeller les auteurs et de découvrir rapidement les objets volés. Cependant, les deux approches se complètent. L’office part des auteurs pour tenter de les tracer tout en surveillant le marché de l’art, les maisons de vente et les sites d’enchères en ligne. En cas de flagrant délit, l’objectif est de retrouver les deux, mais l’office a été initialement très centré sur les biens culturels. Dans certains cas, des objets volés ont été récupérés, parfois à l’étranger, sans qu’une enquête sur les auteurs soit menée, ce qui satisfait les musées cambriolés. Cependant, pour limiter le trafic, il est essentiel de contrôler leur circulation et d’arrêter les voleurs spécialisés, d’où la nécessité de travailler sur les objets et les personnes. Plus les faits sont anciens, plus l’accent sera mis sur la récupération des biens plutôt que sur les auteurs.

À l’échelle nationale, entre 1.000 et 1.300 enquêtes pour des vols de biens culturels sont ouvertes chaque année, même si toutes ne sont pas suivies par l’OCBC. Actuellement, l’office a entre 60 et 80 enquêtes en cours, récentes ou plus anciennes. Plus de 95.000 objets volés sont inscrits dans la base de données et donc recherchés.

Ces recherches peuvent concerner des objets en France ou à l’étranger, car certains pays peuvent solliciter la France pour des œuvres volées chez eux qui pourraient être vendues sur son territoire, ou bien l’office sollicite d’autres pays par le biais de la coopération judiciaire.

Il est impossible de déterminer la durée moyenne d’une enquête, car chaque cas est particulier. L’office traite principalement les affaires les plus complexes, souvent d’une dimension internationale. Au bout d’un certain temps, un enquêteur en commissariat ou en gendarmerie doit traiter d’autres affaires, ce qui amène les services plus spécialisés à prendre le relais, comme c’est le cas pour les cold cases.

L’office gère le fichier national des objets d’art volés, Treima, qui enregistre des images. Créé dans les années 1990, il est régulièrement modernisé. Les vols sont également signalés à Interpol, afin que ces objets puissent être facilement identifiés par un acheteur, même à l’étranger.

Lorsqu’un objet fait partie d’une collection publique ou d’un musée, il est inaliénable, même s’il réapparaît sur le marché des années plus tard. Pour certains faits anciens, des objets, bien que vendus entre plusieurs personnes, peuvent être récupérés grâce au fichier. Cela a été le cas pour deux pièces d’armure volées au Louvre dans les années 1980, restituées près de 40 ans plus tard, en janvier 2021.

Avec sa base d’objets volés, l’office travaille au développement d’un logiciel de reconnaissance d’images utilisant l’intelligence artificielle, au niveau européen. Ce logiciel, Artefact, est déjà opérationnel en France et fonctionne selon un principe similaire à celui des fichiers d’empreintes digitales.

Ce logiciel utilise la reconnaissance par intelligence artificielle, qui fonctionne très bien pour les tableaux et les œuvres en deux dimensions. Pour les objets en trois dimensions, comme les bijoux ou les vases, des améliorations sont en cours. L’objectif est d’optimiser l’outil pour détecter au mieux les œuvres lorsqu’elles sont mises en vente sur Internet.

Depuis deux ans, environ vingt objets ont été reconnus, soit presque un par mois. Cependant, chaque objet doit être vérifié, car il peut s’agir de faux ou d’œuvres similaires d’autres séries qui ne sont pas volées, comme pour les bronzes de Rodin numérotés. La reconnaissance n’est pas infaillible.

L’identification d’un bien volé est semblable à un jeu des 7 erreurs. Si le logiciel rapproche deux images, l’enquêteur recherche des différences. S’il n’y en a pas, il y a de fortes chances que ce soit l’objet recherché. Pour authentifier une œuvre, il faut examiner la signature, les pigments, et il est parfois nécessaire de demander une expertise scientifique pour dater la toile, par exemple.