France

Passer d’un bonus écologique à un bonus patriotique… pas si simple ?

C’est une statistique qui ne plaît guère à Bruno Le Maire : « 40 % du bonus écologique est allé, depuis le début d’année, à l’Asie », peste le ministre de l’Economie ce mardi matin. L’Etat consacre 1,2 milliard d’euros par an à ce dispositif, lequel alloue 5.000 euros, sans condition de revenus*, aux Français pour qu’ils troquent leur voiture thermique pour une électrique. Le hic est donc qu’une bonne partie de ces subventions servent à acheter des voitures assemblées en Asie. A l’instar des Model 3 et Model Y de Tesla, dont une partie de la production se fait à Shanghai. La marque américaine en a volontairement baissé le prix pour passer sous la barre des 47.000 euros et être ainsi éligible au bonus.

Résultat : plus de 10.000 véhicules ont été écoulés par la marque américaine au détriment, notamment, des modèles des Français Renault ou Stellantis.

« Pas vocation à financer une usine en Asie »

C’était la polémique des derniers jours sur laquelle Bruno Le Maire a rebondi ce mardi encore : « Nous n’avons pas vocation à financer, sur fonds publics, le développement d’usines en Asie », lance-t-il. C’est alors l’une des quinze mesures du projet de loi Industrie verte présenté en Conseil des ministres : repenser les critères d’attribution du bonus écologique pour en exclure « les véhicules électriques à faible performance environnementale ».

Ce projet de loi, sur lequel tourne en boucle le gouvernement depuis jeudi dernier, vise autant à décarbonner l’industrie déjà en place en France – qui représente 18 % de nos émissions de gaz à effet de serre – qu’à réindustrialiser le pays en attirant les entreprises des secteurs clés de la transition énergétique. Le « big five », comme l’appelle Bruno Le Maire : les pompes à chaleur, l’éolien, le photovoltaïque, les batteries et l’hydrogène vert.

Une réponse à l’IRA américain

Mais la partie est loin d’être gagnée pour convaincre ces dirigeants de l’industrie verte d’investir dans l’Hexagone. Et il ne suffit pas de les convier à Versailles, comme l’a fait Emmanuel Macron lundi pour la sixième édition du sommet « Choose France ». « Sous les dorures, les négociations étaient âpres », convient Bruno Le Maire, en rappelant que ces entreprises sont draguées de toute part. « On assiste, depuis le Covid-19, à une réorganisation accélérée, comme jamais depuis des décennies, des chaînes de valeur, reprend le ministre. Une nouvelle mondialisation prend forme, plus brutale, où chacun défend ses intérêts sans état d’âme et où la Chine et les Etats-Unis se sont engagés dans une rivalité technologique, économique et financière sans merci. »

Dans ce contexte, la France et l’Europe doivent trouver leur place, plaide le ministre. Redéfinir les critères d’attribution du bonus écologique y participe justement. Bercy présente en tout cas cette mesure comme l’une des réponses à l’Inflation reduction act (IRA) américain, un plan de soutien massif à la production industrielle localisée votée aux Etats-Unis en janvier.

Un bonus réservé aux voitures produites en Europe ?

Bruno Le Maire l’assure : « nous réserverons le bonus à des véhicules produit en Europe ». Dans la foulée, son cabinet tempère. A ce jour, cette subvention s’applique aux véhicules fonctionnant exclusivement à l’électricité, l’hydrogène ou une combinaison des deux et faisant moins de 2,4 tonnes. « L’idée est d’ajouter à l’avenir de nouveaux critères, explique-t-on à Bercy. L’empreinte carbone de la batterie, celle de l’acier utilisé, l’intégration ou non de matériaux recyclés ou biosourcés, ainsi que le mix électrique global qui alimente le site de production. »

La prise en compte de tous ces critères donnera lieu à un score environnemental, « similaire à ce qui est en construction en ce moment sur l’alimentaire ou le textile », compare-t-on au ministère de la Transition écologique. En théorie, la méthode devrait favoriser les véhicules assemblés en France, ou du moins en Europe. « Mais on permettra aussi aux constructeurs, où qu’il soit, d’avoir une possibilité de recours pour démontrer qu’ils entrent dans les clous des critères que l’on va définir », précise-t-on au cabinet de Bruno Le Maire. La question peut aussi se poser dans l’autre sens, alors que bon nombre de pays d’Europe où des constructeurs, y compris Français, ont installé des usines de production, ont une production électrique qui repose encore sur le charbon ou le gaz. Ce dernier critère de la nature du mix électrique en vigueur pourrait les défavoriser.

Une méthode encore à construire

Tout s’écrit encore en conditionnel, « la méthode, coconstruite avec l’Ademe, étant en cours d’élaboration », indique-t-on au cabinet de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique. L’idée est qu’elle soit arrêtée par décret cet été pour une mise en œuvre de ce nouveau bonus d’ici à fin 2023, précise-t-on à Bercy.

Le projet de loi industrie verte, lui, devrait passer devant le Sénat, en première lecture, à la mi-juin, puis à l’Assemblée nationale un mois plus tard.

*7.000 euros même pour les ménages les plus modestes