France

Paris : « S’il faut, on mettra quatre heures à démarrer le camion » préviennent les éboueurs face aux réquisitions

« 49.3 ou pas, on ne bougera pas. » Quelques heures avant qu’Élisabeth Borne, Premier ministre, ne dégaine une nouvelle fois l’article symbole de la mandature, les éboueurs du garage de la Direction de la propreté et de l’eau Mairie de Paris d’Ivry-sur-Seine n’en démordent pas.

« Ce n’est pas une surprise de voir le gouvernement sortir son arme favorite », explique Didier Labruyère, délégué syndical Force ouvrière. Quelques heures plus tôt déjà, les rumeurs de réquisition d’éboueurs grévistes par la Préfecture de Police de Paris pour répondre à l’amoncellement des ordures dans la capitale enflaient.

L’ombre des réquisitions

« On sait que les CRS sont déjà à Pizzorno », commente une gréviste au sujet de l’intervention des forces de l’ordre à l’entrepôt de la société privée, chargée de récolter les déchets dans la partie sud-ouest de Paris.

Pourtant, toutes les personnes présentes sur le piquet de grève ce jeudi matin semblent plutôt sereines. « On ne lâchera pas, quoiqu’il arrive », ajoute Farid, lui aussi délégué Force ouvrière sur ce site qui enregistre 98 % de grévistes. A l’arrêt depuis le 6 mars dernier, les agents du site qui abrite 80 camions de ramassage des ordures de la Ville de Paris restent déterminés.

Peu importe la manière, ces salariés ne veulent pas de la réforme des retraites, et honnissent la manière dont cette nouvelle loi est amenée : « On nous a applaudis pendant le confinement. C’était la preuve de l’utilité de notre travail. Maintenant, on nous écrase. Nous sommes traités avec mépris par des personnes qui ne savent pas ce qu’est le travail », s’énerve Christian*.

Des conditions de travail déjà difficiles

Pour justifier leur mouvement, les arguments ne manquent pas : « La plupart des agents ici se lèvent à 3h30 tous les jours, pour être à 5h30 sur le pont. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, on est là tous les jours », ajoute Farid. Tous relève la pénibilité de leur métier. Un « tue-bonhomme » comme le qualifie Yasmine, lui aussi gréviste : « Ils nous rabâchent que l’espérance de vie augmente. Pour eux, les élus en costard oui. Mais nous, on a eu encore sept morts en deux ans. »

Les agents bloquent le site d'Ivry-sur-Seine.
Les agents bloquent le site d’Ivry-sur-Seine. – R.Le Dourneuf / 20 Minutes

Crises cardiaques, cancers du tube digestif, ces collègues n’ont pas dépassé les 61 ans, comme le déplore Christian : « Vous imaginez ce que c’est de soulever des poubelles à 60 ans ? Et ils veulent nous en rajouter deux de plus. » Car si ces agents peuvent effectivement prendre leur retraite à 57 ans de par leur statut (59 ans avec la réforme), la très grande majorité pousse jusqu’à 62 ans comme le précise Didier Labruyère : « On peut partir plus tôt, mais avec une décote de 5 % par an environ. Avec des salaires qui tournent autour de 1.300 euros par mois en moyenne, après 40 ans de carrière, ils ne sont pas beaucoup à partir en avance. »

D’autant qu’avec de tels salaires, la plupart ne peuvent se loger à proximité de Paris, ville dont ils débarrassent les habitants de leurs ordures. Il n’est pas rare pour eux de rouler plus de 60 kilomètres par jour pour venir travailler. Pour Didier, c’est 180 kilomètres aller-retour au quotidien. Alors ils sont déterminés.

Des tournées au ralenti pour contourner la loi

« On ne lâchera rien ! » 49.3 ou pas, réquisition ou pas, ils assurent qu’ils tiendront le mouvement. « On n’est pas des délinquants, précise Christian, si nous sommes réquisitionnés, nous n’irons pas fracasser les gens. Mais les salariés sont à bout, et on ne pourra pas tenir tout le monde. »

Car le mouvement des réquisitions est déjà amorcé. Prévues dans le Code général des collectivités territoriales qui permet de « requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service »,  la préfecture de Police de Paris a obligé la Mairie de Paris, opposée au principe, a transmettre ce jeudi la liste des 4.000 noms et adresses des éboueurs qui travaillent pour elle.

Mais les salariés ont déjà prévu la riposte. En cas de réquisition, ils respecteront la loi : « Mais s’il faut quatre heures pour démarrer ma benne le matin, et pour chauffer la cabine, condition indispensable pour de bonnes conditions de travail, et bien ce sera comme ça », indique Didier Labruyère. De la même manière, rien ne l’obligera à se presser lors des tournées de ramassage : « Si je veux la faire au ralenti, personne ne m’obligera à aller plus vite. »

Quatre-vingts camions bennes sont à l'arrêt sur le site d'Ivry-sur-Seine
Quatre-vingts camions bennes sont à l’arrêt sur le site d’Ivry-sur-Seine – R.Le Dourneuf / 20 Minutes

Idem pour des problèmes techniques exceptionnels qui pourraient arriver pendant les tournées : « Nous seuls sommes aptes à savoir comment opérer. Donc s’il faut la journée pour régler un problème, nous prendrons la journée. » Le responsable syndical ne masque pas les techniques envisagées pour continuer le mouvement. Entraver la bonne marche du travail sans la bloquer, une manière de contourner la réquisition sans risquer les pénalités.

Les JO 2024 en ligne de mire ?

« C’est pareil pour l’incinérateur. S’ils veulent le faire repartir par la force, les gars sauront mettre 96 heures ou plus pour le démarrer, au lieu des 24 à 48 heures nécessaires en temps normal. » Une technique que Farid résume par : « S’ils veulent jouer, nous aussi on sait faire. »

Et les salariés insistent sur ce point : « Ce n’est que le début. Et le plus dur est latent. » « Macron fanfaronne avec ses Jeux olympiques en 2024. Mais ça peut très bien se transformer en catastrophe si on le décide. Le Gouvernement aurait tort de s’asseoir là-dessus. »