Paris : « On est tout sauf des gens violents »… Trois policiers condamnés pour un « lynchage » à la sortie d’un bar

A la barre, les deux gaillards n’en mènent pas large. Romain B., 26 ans, et Clément C., 27 ans, sont frères. Ils sont tous deux musclés, barbus et policiers à Paris. Ce jeudi, ils sont jugés devant la 29e chambre du tribunal correctionnel pour avoir passé à tabac plusieurs personnes devant un bar du 5e arrondissement de Paris, alors qu’ils n’étaient pas en service. Un déchaînement de violence inouïe, commis sous les yeux des témoins interloqués. Ils doivent comparaître aux côtés de Maxime D., un autre fonctionnaire de 25 ans qui s’est fait représenter à l’audience par son avocate.
La présidente résume les faits qui se sont déroulés le 4 mai 2024 vers 6 heures du matin à proximité du pub Saint-Michel, face à l’île de la Cité. « Une riveraine a communiqué trois vidéos à la maire de Paris, dont une nous intéresse », indique la magistrate. Sur les images, on aperçoit Maxime D. asséner un coup de poing par-derrière à un homme qui s’écroule au sol, inanimé. Clément B., lui, porte coup de pied au visage d’un autre homme assis sur le sol. Ce dernier chute et semble perdre connaissance. Les témoins, entendus par les enquêteurs, racontent que les victimes ont fini en sang après avoir été passées à tabac par des agresseurs qu’ils s’imaginent être des policiers.
« Un échange de coups de part et d’autre »
« Comment les témoins, qui ne vous connaissent pas, ont-ils pu penser que vous étiez policiers ou des personnes se faisant passer pour des policiers ? » se demande la présidente. « On n’a pas fait état de nos qualités. Peut-être qu’on ressemble à des policiers », assure Romain B. « Je travaillais dans le 5e arrondissement et j’étais souvent amené à passer devant le bar », avance son frère. Les deux garçons racontent qu’ils passaient la soirée dans cet établissement connu pour ses bagarres fréquentes. « On n’a pas bu une goutte d’alcool », indique Clément B., portant pull blanc, jean et baskets.
Chemise bleu clair et jean foncé, Romain B. indique qu’il fumait une cigarette devant le bar lorsque trois individus « se sont fait refuser l’entrée ». « Ils ont commencé à nous insulter et à nous menacer sans raison. » Les trois policiers auraient alors décidé de partir prendre le RER pour rentrer chez eux. « Mais les individus nous suivent et se montrent menaçants. L’un d’eux s’approche de moi, je le repousse et lui demande de ne pas nous prendre la tête », poursuit le prévenu. Se sentant « en danger physique », il prend « la décision de porter un coup » à la victime. « S’en est suivi un échange de coups de part et d’autre, on en a tous reçu. Ensuite la rixe s’est déroulée, elle a duré 3-4 minutes. »
Un geste « complètement disproportionné »
Les coups pleuvent. « Ce qu’on voit sur la vidéo, c’est la violence des coups, qu’on peut comprendre par le fait que les victimes s’effondrent et sont inconscientes », insiste la présidente, soulignant que les trois policiers ont « repoussé les témoins qui tentaient de s’interposer ». La magistrate remarque que les prévenus n’ont jamais expliqué avoir été menacés par les victimes, lesquelles n’ont pas été retrouvées. « Ce n’est pas dans le dossier. » « Je n’ai pas détaillé les faits durant l’audition, c’était ma première garde à vue, et je ne savais pas trop comment ça se passait », ose Romain B., policier dans la capitale depuis 2020.
« Ce sont des faits extrêmement graves. Il y a une personne au sol et vous lui donnez des coups. Vous êtes dans une situation où il n’y a aucune crainte pour vous-même, vous dominez la situation et vous tabassez des hommes à terre », reprend la magistrate. « On n’aurait pas dû agir comme ça », souffle Romain B., précisant qu’il ne s’agissait pas de « violences gratuites ». « On est tout sauf des gens violents. Je n’ai jamais eu aucun problème avec la justice. » Son frère, Clément B., explique avoir été en « colère », avoir eu « peur » après avoir reçu des coups. « Je ne saurais pas expliquer mon geste, qui est complètement disproportionné », clame-t-il.
Un mobile raciste ?
Le procureur rappelle que selon un agent de sécurité, la bagarre aurait éclaté parce que l’un des policiers a dit aux victimes « de type nord-africain » : « En France, on doit parler français. » « Je nie complètement », s’offusque Romain B. Pourquoi ce témoin a-t-il confié cela aux enquêteurs ? « C’est un physio qui a peut-être des problèmes avec la police, indique Clément B. Ce n’est pas sorti de notre bouche. » Ce père de famille se décrit comme un homme « respectueux » et joyeux.
La présidente rappelle pourtant qu’il a déjà été condamné en janvier pour « non-assistance à personne en danger » et « dénonciation calomnieuse ». « J’étais chef de poste. Deux jours avant les Jeux Olympique, on était assez tendus. J’étais responsable de l’intégrité physique des gardés à vue. L’un d’eux a été blessé, pas par moi. » Il a écopé de 12 mois de prison avec sursis et de 4 mois d’interdiction d’exercer sa profession. Maxime D., lui, a été condamné à vingt-quatre mois de prison avec sursis et d’une interdiction à vie d’exercer dans la fonction publique pour avoir, en juillet 2024, cassé le bras d’un Péruvien de 42 ans interpellé pour avoir outragé un gendarme. Clément B. n’avait pas réagi et a tenté de le couvrir.
« Tabassés pour aucune raison »
Le procureur évoque « un lynchage ». « Des gens se sont fait tabasser, pour aucune raison », insiste-t-il. Il requiert deux ans de prison avec sursis à l’encontre des deux frères, et deux ans de prison dont 18 mois avec sursis à l’encontre de Maxime D., « la lâcheté incarnée ».
« C’est un homme qui vit une longue descente aux enfers », plaide son avocate, Me Sarah Vogelhut. Elle décrit un homme « seul au monde » dont la « seule famille » était la police. Son client a perdu son travail après sa première condamnation et n’a plus de logement. Me Grégory Hania, l’avocat des deux frères, souligne quant à lui que ses clients « ont conscience que c’est allé trop loin ». Finalement, les prévenus ont été condamnés à des peines allant de huit à 10 mois de prison avec sursis. Le tribunal les a en outre condamnés à l’interdiction de porter une arme pendant cinq ans et a demandé que leur condamnation figure sur leur casier judiciaire. Une inscription qui marque un terme à leur jeune carrière dans la police.