Paris : « Ils nous ont lancé des gaz lacrymo dans la tête »… Evacuation des migrants de la Gaîté Lyrique dans le chaos

«Ils nous ont lancé des gaz lacrymogènes en pleine tête, je me sens tellement mal, qu’allons nous faire à présent ? Nous implorons toutes les organisations qui le peuvent de nous aider. » Abdoul, 16 ans, attend au coin d’une rue à l’écart de la Gaîté Lyrique. Il vient d’être brutalement évacué, à l’instar d’environ 400 autres jeunes, de ce lieu culturel à Paris (3e arrondissement) qu’ils occupaient depuis près de trois mois. « On ne sait pas où on va dormir maintenant », complète Aboubakar, 15 ans, la mine dépitée.
Un arrêté de la préfecture de police a été pris lundi, ordonnant l’évacuation des lieux. Saisi par la Ville de Paris, propriétaire de la salle de spectacle, le juge des référés du tribunal administratif avait ordonné le 13 février l’évacuation dans un délai d’un mois. Mais l’évacuation ne s’est pas faite dans le calme, contrairement à celle du Centquatre, un an plus tôt. « On a pris une violence inouïe, avec 400 flics qui nous donnaient des coups de matraques, s’insurge Nathan Lequeux, coordinateur d’Utopia 56. J’ai vu des malaises, des convulsions, des pertes de connaissance et on s’est fait nasser pendant trois heures. » L’intégralité des jeunes a été sortie du bâtiment, mais vers 9h30, beaucoup restaient encore encerclés par les forces de l’ordre, juste devant le bâtiment.
« J’ai vu beaucoup de blessés »
« Je suis là depuis 5 heures ce matin. La première sommation a été donnée à 5h45, ils ont chargé tout le monde, y compris des élus, alors que les jeunes étaient très calmes », rapporte Laurent Sorel, conseiller de Paris sous l’étiquette LFI. « J’ai vu beaucoup de blessés, une femme qui s’était pris un coup de matraque est restée une heure avant que les pompiers ne la prennent en charge », rapporte de con côté Jérôme Gleize, conseiller de Paris EELV, lui aussi présent avant l’aube. « Il y avait une véritable stratégie de harcèlement dès que les jeunes essayaient de se regrouper », reproche Marianne Maximi, députée LFI arrivée plus tard.
Sous nos yeux, un CRS se met à vouloir embarquer un jeune homme sans raison apparente, et sans qu’aucun propos ni geste n’aient été commis par ce dernier à l’encontre du CRS. Laurent Sorel et Jérôme Gleize s’interposent. « Vous n’avez pas le droit de mettre des mineurs en rétention administrative, on veut savoir où vous l’emmenez, ça ne va pas ! », interpelle l’élu, qui dit avoir vu trois personnes emmenées comme cela par les forces de l’ordre depuis ce matin. « Je n’avais jamais vu cela », lâche-t-il.
En attente de leur reconnaissance de minorité
Devant le petit groupe juste en face de la Gaîté Lyrique, le représentant de la préfecture vient proposer une dernière fois la même solution qu’il répète depuis ce matin : trois semaines d’hébergement à Rouen (Seine-Maritime), sans aucune garantie pour la suite, et surtout loin du lieu où ces jeunes ont déposé leur recours en justice. Car tous ici affirment être mineurs, mais leur statut de mineur n’a pas été reconnu par la Ville de Paris, qui exerce les compétences de la commune et du département, et doit prendre en charge ces mineurs isolés, en leur accordant un hébergement.
La balle a donc été renvoyée à l’Etat, qui prend en charge les majeurs, sauf que dans l’attente d’un recours en justice, ces jeunes se retrouvent dans une sorte de no man’s land, où aucune des deux parties ne les prend en charge. Contactées, ni la préfecture de police ni la préfecture de région n’ont répondu aux sollicitations de 20 Minutes.
« On va les envoyer dans un lieu qu’ils ne connaissent pas, où ils n’ont pas leurs soutiens. Et l’évaluation de minorité, c’est géré à l’endroit où ils ont déposé la demande, ce n’est pas possible de le faire ailleurs », s’insurge Nathan Lequeux. Selon Marianne Maximi, 80 % des jeunes qui effectuent un recours de minorité dans son département, le Puy-de-Dôme, finissent par être reconnus mineurs. « Il y a un véritable vide juridique, c’est kafkaïen. On ne respecte pas la loi alors que ce sont nos textes de loi », regrette-t-elle. « Les emmener à Rouen, c’est une véritable tactique pour qu’ils n’aillent pas au bout de leurs procédures », observe aussi Jérôme Gleize.
A la mairie, deux sons de cloche
Sur France Inter, la maire de Paris, Anne Hidalgo, n’a pas critiqué l’évacuation contestée par des élus de sa majorité. « A ce stade, c’est ce qu’il fallait faire parce que la situation était très compliquée, tendue et dangereuse à l’intérieur », a-t-elle déclaré, ajoutant que « des places d’hébergement, il faut être honnête, ont été proposées [mardi] matin, à Paris et ailleurs » et « il y a eu un refus ». « Ils nous font le coup à chaque fois. Ce sont des places pour adultes. Quand les jeunes se présenteront, on leur dira que ce n’est pas pour eux, et ceux qui vont accepter devront abandonner leur recours de minorité », conteste Yann Manzi, cofondateur d’Utopia 56.
Léa Filoche, adjointe à la maire de Paris chargée des solidarités et de l’hébergement d’urgence, a fait quant à elle entendre un autre son de cloche. « Nous ne sommes pas complices d’un Etat qui ne formule aucune solution digne et pérenne », a-t-elle tonné sur France Info, quelques heures avant la maire.
L’an dernier, la Mairie de Paris avait pourtant ouvert sa porte aux jeunes du même collectif, le collectif Parc de Belleville, qui occupaient le Centquatre, un lieu culturel du nord de Paris, en offrant de les héberger dans trois gymnases dans les 7e, 12e et 17e arrondissements, ainsi qu’une école du 12e. « Le signal pour nous est clair, désormais la mairie laissera pourrir la situation », regrette Yann Manzi. Quant aux jeunes, ils vont devoir retourner dès ce soir à la rue.