Paris : Foule, odeurs, stress et Covid-19… Comment de nombreux usagers sont devenus allergiques au métro
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«Je ne sais même pas comment j’ai pu m’infliger ça pendant tant d’années ! » En se garant à quelques mètres de l’immeuble où il travaille, Sébastien s’en veut presque de n’avoir pas réagi plus tôt. Cadre dans une entreprise du secteur pharmaceutiquebasée à La Défense (Hauts-de-Seine), il a troqué, en 2021, son pass Navigo contre un casque et un vélo. Comme lui, de nombreux Franciliens n’hésitent plus à confesser haut et fort une certaine allergie (au sens figuré) au métro et au RER, pourtant patrimoine et quotidien des Parisiens et des banlieusards depuis plus d’un siècle.
Comme beaucoup de ces derniers, c’est à l’époque du Covid-19 que le déclic s’est fait « comme on arrête la clope », explique Sébastien. « A l’époque, j’habitais Alfortville et je prenais tous les jours le RER D jusqu’à gare de Lyon, puis le RER A pour aller au boulot. Et rebelote le soir », détaille-t-il sans nostalgie.
Originaire d’Angoulême, il a fait ses études à Lille avant de débarquer à Paris en 2006. « Les premières semaines, ça a été un choc. Les retards, les vieux trains, les odeurs… et ce monde ! J’avais l’impression d’être à la Braderie de Lille tous les jours, mais sans le côté festif. Et puis on finit par s’y faire et subir… »
Dix ans de « bactéries » et « frotteurs » qui dégoûtent Jade
Comme pour bien des aspects « parisiens », le syndrome de Stockholm fonctionnera pendant quatorze ans, jusqu’aux confinements et au télétravail qui s’ensuivront. « Après, ce n’était plus possible. Rien que de penser à reprendre le RER pour aller au boulot, ça me déprimait. C’était épidermique », lance-t-il comme une évidence avant de parler de son premier vélo. « Un vieux mécanique » rapidement troqué contre un vélo électrique plus adapté aux 20 kilomètres à parcourir deux fois par jour.
« C’est incroyable comme je suis moins stressé, comme je me sens plus « propre », dans tous les sens du terme. Mine de rien, ça me fait presque deux heures de sport par jour. » Au final, son temps de transport reste le même, « mais au grand air plutôt que dans un sous-sol ».
« Je n’échangerais ce nouvel « air pur » pour rien au monde », s’amuse Jade également transférée dans le « team vélo » en 2020. Le RER, elle ne l’a jamais aimé malgré leurs dix ans de relation ininterrompue. Arrivée en 2010 en région parisienne, elle s’est retrouvée plongée dès les premiers jours dans sa grande phobie : la promiscuité. « C’était le premier été, je vivais à Bagneux (Hauts-de-Seine). Un jour de canicule, alors que le RER était bondé, il y a eu un incident. Nous sommes restés presque 45 minutes dans une chaleur suffocante tous entassés sur la plateforme entre les portes du wagon », se souvient-elle encore avec dégoût en repensant à « la sueur de tous les passagers qui se collaient et se mélangeaient comme une soupe » jusqu’à voir perler une goutte sous l’aisselle d’un voisin de galère.
La goutte de trop pour cette native de Metz : « J’ai eu envie de vomir et de me doucher à l’eau de javel en rentrant chez moi. » Pourtant, il lui aura fallu dix ans pour retrouver la surface. « Dix ans dans les bactéries, les barres grasses du métro, les frotteurs et deux smartphones volés », énumère-t-elle. « Ça a tout changé pour moi, je suis plus réveillée le matin. Je n’arrive pas au travail avec l’humeur maussade du métro. Et j’ai perdu 4 kg », conclut-elle en souriant.
« Le métro, moins tu le prends, et moins tu aimes le prendre »
Des effets positifs que ressent Jean-Loup, lui aussi entré en rébellion, mais du côté pédestre de la force. Ancien usager de la ligne 12 du métro, il a pris l’habitude d’aller au bureau en marchant pendant la grève des transports en décembre 2019. Malgré la fin du mouvement social, il s’est lancé un défi « zéro métro » durant le mois de janvier suivant.
Une résolution qu’il maintient depuis pour tous ses trajets inférieurs à une heure : « Quelque part, le métro, son ambiance, son ton gris, sa foule de costard-cravate, ça sonne un peu prolongement du taf. Alors que d’y aller en marchant, flâner, ça coupe vraiment. J’arrive à la maison [ou au travail le matin] très frais dans ma tête. Le métro, moins tu le prends, et moins tu aimes le prendre. »
A part un nouvel emploi à deux heures de chez lui, plus question de revenir en arrière, et en sous-sol : « Ce qui me marque particulièrement, c’est que du temps où j’étais étudiant, mon retour consistait à prendre la ligne 2, changer à Pigalle, pour seulement DEUX arrêts sur la ligne 12. Cela me semble totalement ahurissant désormais comme attitude. »
Si beaucoup d’autres ont témoigné de ce rejet nouveau pour le métro, aucun ne blâme pourtant Fulgence Bienvenüe ou la RATP comme l’exprime Sébastien : « Franchement, j’ai fait des stages à Singapour, à Mexico et à Londres, Paris a un réseau de transport de dingue. C’est juste qu’il y a trop de monde. Donc si plus de personnes se mettent au vélo, il y aura plus de place dans le métro et tout le monde sera gagnant au final. »