France

Paris : de capitale de la vie courte à championne de la longévité

En 2024, l’espérance de vie à la naissance en France était de 80 ans pour les hommes et de 85 ans et 7 mois pour les femmes, selon l’Insee. À Paris, l’espérance de vie atteignait 82 ans pour les hommes et 86 ans et 8 mois pour les femmes, soit un avantage de 1 à 2 ans par rapport à la moyenne nationale selon le sexe.


Une exploration des archives de la capitale éclaire les raisons qui ont conduit à la transformation de Paris, devenue en un siècle l’une des villes où l’on vit le plus longtemps au monde. Florian Bonnet, Catalina Torres et France Meslé, démographes à l’Institut national d’études démographiques, analysent ce changement.

Quelle est l’espérance de vie d’un individu ? Derrière cette question simple se cache un des indicateurs clés pour évaluer le développement socio-économique d’un pays. En effet, l’espérance de vie à la naissance ne se limite pas à la durée moyenne de vie ; elle résume à elle seule l’état sanitaire, les conditions de vie et les inégalités sociales d’une population.

En 2024, la France figurait parmi les pays les plus longévifs au monde. L’espérance de vie était de 80 ans pour les hommes et de 85 ans et 7 mois pour les femmes, selon l’Insee. Toutefois, derrière ces moyennes nationales se dessinent des disparités territoriales notables.

À Paris, l’espérance de vie atteignait 82 ans pour les hommes et 86 ans et 8 mois pour les femmes, représentant un avantage d’un à deux ans par rapport à la moyenne nationale selon le sexe. Toutefois, cette situation n’a pas toujours été la norme. Un retour sur cent cinquante ans d’évolutions s’impose.

### Une espérance de vie longtemps inférieure à la moyenne française

Paris n’a pas toujours été synonyme de longévité. Il y a cent cinquante ans, la durée de vie moyenne des habitants de la capitale était bien plus courte. Un petit Parisien qui fêtait sa première bougie en 1872 pouvait espérer vivre encore 43 ans et 6 mois, tandis qu’une petite Parisienne pouvait espérer 44 ans et dix mois.

Ce constat est illustré par une figure qui retrace l’évolution de l’espérance de vie à un an entre 1872 et 2019 pour la France entière (en noir) et pour la capitale (en rouge). Cet indicateur, qui exclut la mortalité infantile (très élevée et mal mesurée à l’époque à Paris), permet de suivre plus aisément les transformations structurelles de la longévité en France sur le long terme.

On observe que, dans la capitale, l’espérance de vie est restée longtemps inférieure à celle du reste du pays. Ce n’est qu’au début des années 1990 (pour les femmes) et au début des années 2000 (pour les hommes) qu’elle a dépassé celle de l’ensemble des Français.

À la fin du XIXe siècle, l’écart en défaveur des habitants de la capitale atteignait dix ans pour les hommes et huit ans pour les femmes. Ce phénomène, constaté mondialement, est connu sous le nom de pénalité urbaine. Il est en partie dû à une densité de population élevée favorisant la propagation des maladies infectieuses et à un accès difficile à une eau potable de qualité.

Dans une étude récemment publiée dans la revue Population and Development Review, nos chercheurs ont cherché à mieux cerner comment Paris a évolué, passant de la capitale de la vie courte à l’un des territoires où l’on peut espérer vivre le plus longtemps.

### Une base de données inédite pour remonter le fil de la longévité parisienne

Pour ce faire, une base de données inédite sur les causes de décès à Paris entre 1890 et 1949 a été constituée, unique en France à cette époque, grâce aux travaux des statisticiens Louis-Adolphe et Jacques Bertillon.

Cette collecte a été longtemps entravée, même si les données existaient, en raison de leur dispersion dans les archives de la Ville et des coûts de numérisation élevés. De plus, les statistiques de mortalité par cause étaient difficiles à exploiter à cause des changements répétés de classification médicale. Récemment, grâce à des innovations en matière de collecte et de méthode statistique, ces obstacles ont été surmontés.

Concrètement, nous avons photographié de nombreux livres contenant des informations sur le nombre de décès selon l’âge, le sexe et la cause, pour l’ensemble de Paris sur près de 60 ans. Ces données, souvent extraites à la main, ont été rendues exploitables pour nos logiciels statistiques. Par ailleurs, nous avons également collecté ces données par quartier – les 80 actuels – pour certaines maladies infectieuses, afin de mieux comprendre la transformation des inégalités sociales et spatiales face à la mortalité durant cette période.

Cette collecte minutieuse de dizaines de milliers de données a permis de créer une nouvelle base, désormais librement accessible à la communauté scientifique. Elle offre la possibilité d’analyser de manière approfondie les mécanismes d’amélioration spectaculaire de la longévité à Paris durant la première moitié du XXe siècle, période durant laquelle la population de la capitale a fortement augmenté, atteignant près de trois millions d’habitants, principalement en raison de l’afflux massif de jeunes migrants des campagnes françaises durant l’exode rural.

### Un gain important dû au recul des maladies infectieuses

Entre 1890 et 1950, l’espérance de vie à un an a augmenté de près de vingt-cinq ans à Paris. Quelles sont les raisons de cette avancée ? En examinant cette hausse par grandes causes de décès, on constate que les maladies infectieuses représentaient la cause principale de mortalité à la Belle Époque tant pour les hommes que pour les femmes, notamment la tuberculose, la diphtérie, la rougeole, la bronchite et la pneumonie. Les cancers, les maladies cardio-vasculaires et, pour les femmes, les causes liées à la grossesse, ont également été considérés.

Il en découle que la disparition progressive des maladies infectieuses est responsable de près de 80 % des gains de longévité observés à Paris. Sur les 25 années d’espérance de vie gagnées, 20 sont directement attribuables à la baisse des infections.

La lutte contre la tuberculose a été le principal moteur de ce progrès. Ce qui était autrefois la première cause de décès à Paris a connu un déclin rapide après la Première Guerre mondiale, représentant près de huit années d’espérance de vie gagnées pour les hommes et six pour les femmes. Les infections respiratoires ont elles aussi contribué à un gain supplémentaire de cinq ans. Plusieurs avancées (transformations économiques et sociales, progrès en santé publique, efforts collectifs pour lutter contre la tuberculose et améliorations nutritionnelles) ont permis de réduire la mortalité liée à ces maladies.

La diphtérie, particulièrement meurtrière chez les enfants au XIXe siècle, a également connu un recul spectaculaire durant les années 1890, ce qui a permis un gain d’environ deux ans et six mois. Ce recul a été en partie impulsé par l’introduction réussie du sérum antidiphtérique.

En revanche, les maladies cardio-vasculaires et les cancers ont eu un impact limité avant 1950. Leur influence est apparue plus tard, freinant parfois la progression générale de l’espérance de vie, notamment les cancers chez les hommes. Les causes liées à la grossesse ont eu un impact faible.

Cette hausse considérable de l’espérance de vie s’est poursuivie au-delà de notre période d’étude, mais à un rythme moins intense, avec une augmentation d’un peu moins de vingt ans entre 1950 et 2019.

### Au début du XXe siècle, de féroces inégalités sociales face à la mort

Nous l’avons observé, la lutte contre la tuberculose a été un moteur clé dans les significatifs progrès d’espérance de vie à Paris entre 1890 et 1950. À l’aide des statistiques de décès par cause, nous avons examiné plus en détail cette maladie via une véritable géographie sociale.

Pour chaque quartier, nous avons calculé un taux de mortalité « brut » – le rapport entre le nombre de décès dus à la tuberculose et la population totale du quartier pour 100.000 habitants. Cela nous a permis de produire une carte de cette mortalité spécifique autour de 1900.

Les inégalités de mortalité étaient considérables à Paris en 1900. Les taux les plus élevés, souvent supérieurs à 400 décès pour 100.000 habitants, étaient concentrés dans l’est et le sud de Paris. Les trois quartiers les plus touchés étaient Saint-Merri (près de 900), Plaisance (850) et Belleville (un peu moins de 800). En revanche, les quartiers de l’ouest de Paris présentaient des taux bien plus faibles, atteignant des valeurs minimales proches de 100 dans des zones comme les Champs-Élysées, l’Europe et la Chaussée-d’Antin.

Ces différences géographiques reflètent directement les inégalités sociales de l’époque. En utilisant les statistiques des loyers du début du XXe siècle, nous avons identifié les dix quartiers les plus riches et les dix plus pauvres. La fracture sociale entre le Paris aisé du centre-ouest et le Paris populaire des marges orientales est clairement superposée à la carte de mortalité par tuberculose.

### Une situation qui s’équilibre seulement après la Seconde Guerre mondiale

En analysant les écarts entre la fin du XIXe siècle et 1950, on observe que les quartiers les plus pauvres affichaient à cette époque des taux de mortalité par tuberculose supérieurs à 600, soit trois fois et demie plus que dans les quartiers riches.

Cet écart s’est creusé jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, avec une baisse plus marquée de la mortalité dans les quartiers riches. En 1910, les taux de mortalité par tuberculose étaient encore quatre fois et demie plus élevés dans les zones populaires que dans les zones riches.

Durant l’entre-deux-guerres, ces écarts ont commencé à se resserrer. L’éradication progressive des maladies infectieuses a permis des progrès significatifs dans l’espérance de vie, de la Belle Époque à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La mortalité a chuté très rapidement dans les quartiers les plus défavorisés, et à la fin des années 1930, elle n’y était plus que deux fois plus élevée que dans les quartiers riches.

Après la Seconde Guerre mondiale, les taux ont finalement dépassé le seuil des 100 décès pour 100.000 habitants dans les quartiers pauvres, un seuil que le quartier des Champs-Élysées avait déjà atteint cinquante ans plus tôt.

### Quelles leçons pour l’histoire ?

Le rythme de cette transformation, dont la lutte contre la tuberculose a été l’un des moteurs, a été exceptionnel. Près de six mois d’espérance de vie ont été gagnés chaque année entre le début de la Belle Époque et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les facteurs de cette grande diminution de la mortalité sont encore débattus, mais ils peuvent être regroupés en trois catégories.

La première concerne les investissements dans les infrastructures sanitaires. La connexion des logements aux réseaux d’assainissement aurait joué un rôle dans la réduction de la mortalité due aux maladies infectieuses transmises par l’eau.

De plus, l’instauration au tournant du XXe siècle du « casier sanitaire » aurait contribué à la baisse de la mortalité liée aux maladies respiratoires, notamment la tuberculose, en enregistrant des informations sur la salubrité des logements.

La deuxième catégorie de déterminants inclut les innovations médicales : le vaccin BCG contre la tuberculose (mis au point en 1921) ou le vaccin antidiphtérique (en 1923) ont transformé le paysage sanitaire.

Enfin, la troisième catégorie rassemble les changements économiques et sociaux. La première moitié du XXe siècle a été marquée par une croissance économique, une amélioration des conditions de vie et une diminution des inégalités de revenus. L’amélioration du réseau de transport a également facilité l’approvisionnement alimentaire des campagnes, favorisant une meilleure nutrition. Notre étude montre que les antibiotiques, découverts plus tard, n’ont eu qu’un impact marginal avant 1950.

### Comprendre les dynamiques sanitaires contemporaines

Nos recherches ne sont pas encore achevées. Nous continuons à collecter de nouvelles données pour examiner l’évolution de l’espérance de vie et de la mortalité par cause dans les vingt arrondissements et les quatre-vingts quartiers de la capitale, visant à approfondir notre compréhension de cette période de cent cinquante ans. Cela nous permettra de dévoiler progressivement toutes les raisons qui font de Paris cette référence en matière de longévité.

Ces travaux, bien que centrés sur des phénomènes historiques, ont une importance majeure pour l’analyse des dynamiques sanitaires contemporaines. Ils documentent comment les maladies chroniques ont peu à peu commencé à façonner l’évolution de l’espérance de vie, un rôle qui structure maintenant les transformations de la longévité.

Ils montrent également que les disparités de mortalité liées aux conditions socio-économiques, bien identifiées dans la littérature actuelle, existaient déjà dans le Paris de la fin du XIXe siècle.

Surtout, nos analyses illustrent que, malgré l’ampleur initiale des inégalités socio-économiques de mortalité, celles-ci se sont fortement réduites lorsque les groupes les plus défavorisés ont pu bénéficier d’un accès élargi aux avancées sanitaires, sociales et environnementales.