France

« Parcoursup, c’est comme un site de rencontre », selon la spécialiste du décrochage scolaire Elisabeth Elkrief

Elle a effectué une longue carrière dans l’environnement puis dans la finance où elle a conseillé des géants français pour le compte de Goldman Sachs et de Rothschild & Co. Depuis cinq ans et sa rencontre avec le spécialiste français de la finance Maurice Tchénio, Elisabeth Elkrief a pris la présidence de sa fondation, baptisée AlphaOmega. Celle-ci accompagne et finance sept associations qui œuvrent pour l’éducation aux côtés du « mammouth » de l’Éducation nationale.

Ces organismes comme Entreprendre pour apprendre, Coup de pouce ou encore l’AFEV interviennent au quotidien pour lutter contre le décrochage scolaire et les inégalités sociales. En accompagnant les enfants, les adolescents ou les étudiants dans leur parcours d’orientation, ces associations tentent d’abattre les barrières qui se dressent sur le chemin des plus fragiles. Alors que la plateforme Parcoursup vient d’ouvrir sa période de vœux, suscitant excitation et angoisse chez les lycéens, Elisabeth Elkrief livre un regard lucide sur l’orientation des élèves. Un moment clé qui doit être un moment pour s’interroger.

L’ouverture des vœux sur Parcoursup, c’est le grand stress pour les lycéens, non ?

Tout dépend de l’avancée de l’élève. La plateforme Parcoursup ne devrait être qu’un aboutissement de la connaissance de soi. Avant de saisir leurs vœux, les lycéens doivent pouvoir répondre à plein de questions. Quel est leur rêve ? Qui ils sont ? Qu’est-ce qu’ils aiment et qu’ils n’aiment pas ? Est-ce qu’ils sont plutôt créatifs ou sérieux ? Plutôt libres et autonomes ou est-ce qu’ils ont besoin d’être accompagnés ? Est-ce qu’ils ont envie de beaucoup bosser ? Ces questions vont les aider à faire un choix. Car ce n’est pas la plateforme qui va répondre à ces questions. Il faut que ce soit anticipé, réfléchi et préparé à l’avance. Parcoursup, c’est un algorithme de matching, comme un site de rencontre. Il a le mérite d’objectiver les choix, de hiérarchiser les vœux. Mais il génère aussi beaucoup d’anxiété. Certains sites s’en sont emparés pour faire la promotion d’écoles privées souvent très chères et qui ne se sont parfois pas reconnues.

Les lycéens sont-ils vraiment libres de leur choix ?

Il y a une myriade de pistes d’études et je peux comprendre que certains se sentent perdus. J’estime que le premier choix doit être dicté par l’envie. Mais encore faut-il que les lycéens sachent quoi faire pour être choisis. Comment savoir ce que les écoles préfèrent ? Est-ce qu’il faut bosser en maths ou en histoire ? On n’a pas de visibilité sur les requis attendus. Si c’était un organisme de rencontre, on pourrait se demander si le partenaire préfère les blonds ou les bruns. On fait croire aux gens qu’ils auront une orientation choisie alors qu’il y a des sélections drastiques à certains endroits et des engorgements dans certaines filières. Tout le monde veut faire droit ou psycho alors qu’il y a des taux d’échec de 80 % à la sortie. Il faut le dire.

A-t-on le droit de se tromper ?

Bien sûr. Il n’y a pas de mauvais choix. Les choix que nous faisons ne sont pas irréversibles, d’autant qu’on ne cesse de créer des passerelles entre les filières. Mais on sait que pour les plus fragiles, les études sont un véritable sacrifice pour eux et pour leur famille. Ils n’ont pas de temps à perdre. S’ils se trompent de voix ou s’ils échouent, ils peuvent rapidement décrocher. Dans les milieux défavorisés, faire des études relève de l’exploit. Il faut beaucoup de volonté pour changer de classe sociale. Les associations que nous soutenons sont là pour les soutenir, les accompagner.

Y a-t-il un risque à faire ses choix pour « faire plaisir » à ses parents ?

A 17 ou 18 ans, on nous fait croire que les adolescents sont devenus des adultes, qu’ils sont autonomes parce qu’ils sont à la fac. C’est pourtant l’endroit de tous les dangers. On estime que 19 % des étudiants arrêtent leurs études sans diplôme. Il faut les surveiller, les accompagner. Mais pas les obliger à faire tel parcours s’ils n’en ont pas envie. L’orientation doit aussi être un moment d’émancipation pour les jeunes. Leurs choix leur permettent d’habiter leur propre vie.

Quelles sont les solutions pour aider les jeunes dans leur orientation ?

La réflexion doit avant tout être personnelle. Les jeunes doivent trouver un cursus qui leur plaît. Trouver un métier relève de l’abstrait pour eux. Ils ne connaissent souvent que le métier de leur père ou de leur mère, et encore, sans vraiment savoir ce qu’ils font. L’association Article 1 que nous accompagnons a lancé le site Inspire, qui met en relation des « étudiants éclaireurs » et des lycéens. Ils ne sont pas là pour remplacer les enseignants mais ils peuvent témoigner et expliquer leur parcours, comment ils sont arrivés là. L’orientation peut se transformer en un jeu de découverte. Le jeune doit se l’approprier, ouvrir des portes, explorer des pistes qui lui permettront de se forger sa propre opinion. Au lieu de stresser, il y a un temps fécond à passer pour se poser et s’interroger. C’est souvent la première fois que l’on se demande : qu’est-ce que j’aime ? Il faut prendre le temps d’y réfléchir et d’en discuter.