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Paléontologie : Une « pouponnière à dinosaures » unique au monde se fait discrète près d’Aix-en-Provence

Un moral de fer sous un soleil de plomb : armée d’une brosse à main, une paléontologue inspecte méticuleusement un monticule d’argile rouge au pied de la montagne Sainte-Victoire, au cœur de la Provence, à la recherche de fossiles bien particuliers, vieux de quelque 75 millions d’années : des œufs de dinosaures !

« Ce site n’a pas d’équivalent, il suffit de se baisser pour trouver des restes de coquilles », explique Thierry Tortosa, paléontologue et conservateur de la Réserve Naturelle Nationale de Sainte-Victoire : « On marche littéralement sur des œufs ! ».

Un œuf au mètre carré

Environ 1.000 d’entre eux, certains mesurant jusqu’à 30 centimètres de diamètre, ont été découverts ces dernières années lors de fouilles effectuées sur moins d’un hectare sur les… 280 que comptera bientôt la réserve naturelle, dont la superficie doit doubler d’ici 2026, notamment pour éviter les pillages. « On estime avoir un œuf au mètre carré : on est donc sur des milliers voire potentiellement des millions d’œufs », avance le scientifique.

Patience et longueur de temps…

« Eggs » ne cherche pas la compétition avec d’autres sites selon lui, même s’il sourit en évoquant les 17.000 œufs de dinosaures retrouvés à Heyuan, en Chine, en 1996, un « record du monde ».

« Nous, on ne les sort pas de terre car dans une réserve naturelle on ne doit pas changer le paysage. On attend qu’ils apparaissent grâce à l’érosion. Ensuite on n’aurait pas la capacité de tous les stocker. On prélève seulement ceux qui ont un intérêt paléontologique ».

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Où t’es maman (dino) ?

Mais ces œufs renferment encore des secrets puisqu’ils sont jusqu’à présent tous vides, éclos ou non fécondés : « Tant qu’on n’aura pas trouvé d’embryon dedans, on ne saura pas de quel type de dinosaure ils proviennent. On sait juste que ce sont des herbivores en raison de leur forme ronde », explique M. Tortosa, qui qualifie cette quête de « Saint Graal ».

Rares sont les spécimens fécondés retrouvés, comme « Baby Yingliang », fossile d’Oviraptorosaure vieux d’au moins 66 millions d’années, découvert vers l’an 2000 à Ganzhou (Chine).

Un site bien caché

Mais Thierry Tortosa se veut optimiste : « il ne faut jamais dire jamais. Depuis neuf ans que je travaille ici, on a découvert des choses qu’on ne pensait pas découvrir ». C’est pourquoi, une fois par an, des experts viennent fouiller pendant vingt jours une nouvelle parcelle de la réserve, dans un lieu tenu secret, pour éviter tout pillage.

Cachées sous un filet de camouflage, dans un vallon perdu dans la garrigue, six personnes du département des Bouches-du-Rhône et du Muséum d’Histoire Naturelle d’Aix-en-Provence grattent, à l’aide de burins puis de pointes à tracer, sur quelques mètres carrés d’un sol argilo-calcaire.

Rhabdodon ou Titanosaure

« Il y a toujours un côté magique, un retour à l’enfance, quand on découvre un œuf ou un os fossilisé. Ici, on n’aura jamais terminé de notre vivant car à chaque fois qu’on vient, on sait qu’on va en trouver », dit à l’AFP Séverine Berton, technicienne de fouilles paléontologiques.

Leurs trouvailles ? Un petit fémur, recensé du chiffre « 38 », et un tibia-péroné (« 52 ») de trente centimètres. Sans doute les restes d’un Rhabdodon ou d’un Titanosaure, grands herbivores qui peuplaient cette zone. Un millier d’ossements ont déjà été prélevés sur la réserve.

Des conditions de conservation idéales

Difficile d’imaginer qu’au lieu d’oliviers, pins d’Alep ou de la Sainte-Victoire elle-même, rendue mondialement célèbre par les peintures de Cézanne, le paysage vers la fin du Crétacé (-89 à 66 millions d’années) ressemblait davantage aux marécages de Camargue ou du delta de l’Okavango, au Botswana, avec, en sus, palmiers, conifères et plantes à fleurs. Au milieu, de grandes plaines d’inondation aux sols limono-argileux rendant idéales les conditions d’alimentation, de nidification… et de conservation d’œufs.

Cette zone allant de l’actuelle Espagne jusqu’au Massif central formait alors une île qui abritait diverses espèces de dinosaures endémiques. Herbivores mais aussi carnivores comme Variraptor, cousin du Velociraptor popularisé par Spielberg dans Jurassic Park, ou Arcovenator, dont les seuls fossiles ont été découverts non loin.

La menace du pillage

En 1846, le paléontologue français Philippe Matheron trouvait le premier œuf de dinosaure au monde à Rognac, à une trentaine de kilomètres. Depuis, nombreuses sont les sociétés savantes à venir dans la région pour « chasser » des œufs, de manière plus ou moins encadrée. « Les musées du monde entier voulaient un œuf de la Sainte-Victoire », rappelle M. Tortosa.

Malgré des interdictions, les pillages se poursuivent. En 1989, un incendie révèle des fossiles à l’air libre : « tout le monde venait ramasser des œufs », regrette l’actuel conservateur. En 1994, le site est classé réserve naturelle nationale à vocation géologique, plus haut niveau de protection avec interdiction d’accès du public.

Notre dossier « Dinosaures »

Le département réfléchit désormais à valoriser ce patrimoine pour développer « le tourisme paléontologique » : selon lui, « la France est le seul pays au monde à ne pas savoir communiquer sur les dinosaures : d’autres pays font un musée autour d’une dent alors que c’est ici qu’on trouve le plus de diversité ».