France

Ouverture à la concurrence : Face à la SNCF, « l’Etat y regarde à deux fois avant de confier une ligne à un nouvel entrant »

C’est un appel d’offres dont le résultat était très attendu, puisque c’est la première fois que des lignes de « trains d’exploitation du territoire » (TET, les trains Intercités), étaient ouvertes à la concurrence. L’Etat – l’autorité organisatrice de ces trains – a annoncé le 28 janvier dernier avoir finalement retenu… la SNCF pour l’exploitation des lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon.

Elle était en concurrence avec la Renfe, l’opérateur national espagnol, et un nouvel entrant, la compagnie Le Train, qui prévoit d’exploiter plusieurs lignes à grande vitesse – dans un premier temps dans le « Grand Ouest » – dans les prochaines années.

« La SNCF reste une entreprise compétente »

Après la reconduction de l’opérateur historique sur ces lignes, de nombreuses questions se posent sur l’ouverture à la concurrence en France. Tous les candidats partent-ils à armes égales ? Les nouveaux entrants ont-ils une véritable une chance de se faire une place ? « Disons qu’il s’agissait d’un gros appel d’offres, avec deux lignes d’aménagement du territoire très importantes, financées par le contribuable ; l’Etat y regarde à deux fois avant de donner une ligne à un nouvel entrant qu’il ne connaît pas », résume François Delétraz, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports). Et, « malgré tous ses travers et ses complexités, la SNCF reste une entreprise compétente : elle sait faire rouler des trains, et elle a une masse critique en matière de maintenance et de savoir-faire ».

En face, « la Renfe sait faire de la grande distance en Espagne mais rencontre plus de difficultés en France, car elle a énormément de mal à se mettre au diapason de la réglementation française », assure le représentant de l’association d’usagers. La France serait ainsi « beaucoup plus stricte que l’Espagne sur la sécurité. » Le Train, de son côté, aurait pâti de son inexpérience. « Notre sentiment est que le gouvernement n’a pas osé confier ces lignes à une compagnie qui n’a jamais fait rouler un train », avance François Delétraz.

Le spécialiste du ferroviaire assure toutefois que « l’intérêt est que la SNCF a été obligée de revoir sa copie et a proposé une feuille de route de bien meilleure qualité. Elle promet plus de trains, de la capacité, de la régularité… » Et ce premier résultat ne préjuge en rien des futurs appels d’offres. Les prochaines lignes du TET concernées par la concurrence seront le Paris-Clermont-Ferrand, régulièrement victime d’incidents, et le Paris-Limoges-Toulouse. « Rien n’est joué d’avance » assure François Delétraz.

La SNCF « avantagée de fait », déplore Le Train

Qu’en pense l’un des malheureux candidats, la compagnie Le Train ? 20 Minutes a interrogé son président et fondateur, Alain Getraud, qui se dit « déçu, forcément, car on y croyait » mais « pas complètement surpris. » Il estime que Le Train proposait « une véritable rupture avec ce qui existait, grâce à une augmentation de l’offre, du service avec un volet restauration, de la connectivité, davantage de relations clients… Sans oublier les fondamentaux : la fiabilité, la propreté, la sécurité. Dernier élément : nous avons travaillé sur un prix d’au moins 20 % inférieur. »

Visuel d'une future rame Talgo de la compagnie privée Le Train.
Visuel d’une future rame Talgo de la compagnie privée Le Train. - Le Train

Qu’est-ce qui explique, alors, cet échec ? « J’imagine que pour l’emporter, la SNCF a abaissé très fortement la contribution financière de l’État [qui vient couvrir sur ces lignes la différence entre les recettes perçues et les charges d’exploitation], avance Alain Getraud. Cela m’interroge, car si ce critère était déterminant, nous aurions souhaité mieux le comprendre… Il est donc très important que le cadre permette aux candidats de faire les meilleures offres et ne génère pas d’asymétrie de concurrence entre l’opérateur historique et les nouveaux entrants. D’autant plus que l’opérateur en place a toutes les données depuis des décennies, c’est beaucoup plus difficile pour nous d’y avoir accès et de nous projeter. »

La SNCF serait-elle avantagée dans ce type d’appel d’offres ? « Elle l’est de fait, c’est le poids de l’histoire, tranche Alain Getraud. Elle est en place et maîtrise parfaitement son exercice quand nous n’avons qu’une vision externe au système ferroviaire en place. Cela nécessite qu’un nouvel entrant soit meilleur que l’acteur en place, sans avoir exploité. C’est un challenge, mais c’est jouable. Et nous répondrons à d’autres appels d’offres là où nous pourrons apporter une réelle amélioration des services. »

Nice-Marseille sera la première ligne régionale exploitée par un concurrent de la SNCF

D’une manière plus large, où en est l’ouverture à la concurrence en France ? En plus de ces trains d’aménagement du territoire, il existe deux autres cas de figure, les trains régionaux, où c’est la région, en tant qu’autorité organisatrice, qui choisit un prestataire, et le SLO (Service librement organisé), c’est-à-dire les grandes lignes qui ne sont pas subventionnées, et où n’importe qui peut candidater à partir du moment où il obtient l’agrément de sécurité.

Des cas de figure « très différents » insiste François Delétraz, qui s’ouvrent très timidement à la concurrence. « Sur les SLO, seule Trenitalia est en concurrence avec la SNCF sur Paris-Lyon, rappelle-t-il. La Renfe exploite bien Marseille-Madrid et Lyon-Barcelone, et va prochainement ouvrir un Toulouse-Barcelone, mais ce sont des lignes que la SNCF n’opère pas. La Deutsche Bahn dessert de son côté plusieurs destinations depuis Paris [Francfort, Munich, Berlin, ainsi qu’une ligne Marseille/Francfort], mais cela se fait dans le cadre d’un accord avec la SNCF, pas en concurrence avec elle [les deux compagnies collaborent depuis 2007]. »

Concernant les trains régionaux, la SNCF a perdu l’exploitation de la ligne Nice-Toulon-Marseille, remportée par Transdev, qui doit commencer à l’opérer à partir du 29 juin. Ce sera la première ligne régionale en France pilotée par un concurrent de la SNCF. Mais alors que Transdev a promis de doubler le nombre d’allers-retours quotidiens sur cette ligne grâce notamment à 16 rames neuves Omneo Premium, commandées à Alstom pour 250 millions d’euros, moins de la moitié de ces rames ne pourraient être livrées à temps. Comme d’autres industriels, Alstom accumule en effet des retards dans ses commandes.

« Faire rouler un train est plus compliqué que de faire voler un avion »

Attaquer le marché du ferroviaire n’est donc pas une démarche aisée, surtout quand on a un poids lourd comme la SNCF en face. « Le problème du ferroviaire, c’est le coût, explique François Delétraz. Lancer une ligne représente énormément d’argent, beaucoup plus que de lancer une ligne aérienne, pour laquelle on peut louer des avions avec du personnel. Dans le ferroviaire, il faut acheter le matériel, former les conducteurs et les contrôleurs, et après cela, faire rouler un train est plus compliqué que de faire voler un avion. Les passages à niveaux, les aiguillages, l’arrivée et le départ en gare, tout cela représente une succession de complications… Et enfin, il y a le prix des péages, puisque la France est le pays d’Europe où le passager paie le plus pour le passage du train. »

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Financer ces opérations « nécessite plusieurs centaines de millions, et cela prend du temps » confirme Alain Getraud. « Nous sommes très liés à des processus industriels – la construction des rames – qui sont longs, même si nous tâchons de faire raccourcir les délais de fabrication. » Le Train a confié la fabrication de ses rames, qui doit démarrer dans le courant de l’année, à l’espagnol Talgo.

« D’ici 5 à 10 ans, on ne reconnaîtra plus le paysage ferroviaire français »

Alain Getraud reste toutefois convaincu que l’ouverture à la concurrence en France va connaître un coup d’accélérateur dans les prochaines années. « Trenitalia et Renfe ont ouvert la voie et l’effort porté sur le transport public va porter ses fruits dans les dix prochaines années, assure-t-il. Alors oui, la France résiste, peut-être parce qu’elle a un modèle plus difficile à bouger ; oui, l’offre de transports telle qu’on la connaît est archaïque, et le ferroviaire est à la traîne par rapport à d’autres pays d’Europe où la concurrence est déjà en place ; mais je suis convaincu que d’ici 5 à 10 ans, on ne reconnaîtra plus le paysage ferroviaire français. »

Après la sortie de route de Railcoop, compagnie qui s’est « heurtée à énormément de difficultés » rappelle François Delétraz, il reste deux opérateurs privés sur les rangs pour pénétrer le marché ferroviaire français, Le Train et Proxima.