France

Outrage sexiste : Pourquoi les femmes sont encore plus exposées au harcèlement de rue l’été

Pas tous les hommes, certes, mais 97 % des mis en cause pour du harcèlement de rue appartiennent au genre masculin. C’est un des constats qui ressortent des chiffres du ministère de l’Intérieur sur l’année 2024 concernant l’infraction dite d’« outrage sexiste ». Et l’été, c’est pire. Le simple fait d’être davantage à l’extérieur avec l’arrivée des beaux jours fait grimper les statistiques.

Sur l’application d’entraide Umay, qui permet de signaler une situation de harcèlement, une hausse de 30 % des alertes a été observée au mois de juin, affirme sa fondatrice Pauline Vanderquand. Sur l’application sœur The Sorority, « la vague a démarré dès le mois de mai », selon sa créatrice Priscillia Routier. De fait, « l’hiver on n’est moins dehors, donc moins exposées », ajoute-t-elle.

Etre une femme et exister dans l’espace public suffit donc pour devenir une cible de ces « propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à [la] dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé […] une situation intimidante, hostile ou offensante », selon la définition du Code pénal.

Des lieux plus exposés que d’autres

Presqu’aucune femme n’est épargnée. C’est ce que révélait dès 2018 une enquête de l’Ifop, mettant en avant le fait que 76 % d’entre elles ont déjà vécu une situation de harcèlement de rue. En plus des bars, des arrêts de bus ou des gares – des endroits particulièrement propices à ce genre de comportement –, d’autres lieux s’ajoutent à la liste durant l’été, comme la plage ou les festivals.

Entre la promiscuité physique créée par la foule, la consommation d’alcool (une circonstance aggravante) et le fait d’être dans des lieux où l’on ne se déplace pas, comme les stations de transports en commun, les femmes (elles représentent 89 % des victimes de harcèlement de rue, selon l’Intérieur) sont davantage prises pour cibles.

« Dès qu’il y a une émulation, l’esprit à la fête, il va y avoir des comportements décuplés, des barrières psychologiques sautent avec la consommation d’alcool et de stupédiants et les violences ressurgissent », développe Priscillia Routier. « Le harcèlement de plage est une réalité tous les étés », signale également Pauline Vanderquand.

C’est pas le vêtement le problème

En hiver, les femmes sont plus couvertes. Quand les températures grimpent et qu’elles osent porter des tenues plus légères, « certains hommes vont se sentir autorisés à les siffler ou les interpeller alors que chacune doit pouvoir se promener dans l’espace public et jouir d’une liberté vestimentaire », souligne Julie Mattiussi, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg.

« Peu importe l’accoutrement, dès que les femmes occupent un espace, le harcèlement existe », insiste Pauline Vanderquand. Sur la plage, les regards appuyés ou les remarques déplacées peuvent être encore plus mal vécus par les victimes, physiquement exposées. « On se sent comme un morceau de viande », résume la fondatrice de Umay, qui revendique plus de 120.000 utilisatrices (majoritairement des femmes).

Reconnaître le harcèlement de rue

L’une des difficultés pour connaître l’ampleur du problème, c’est le nombre de plaintes, bien inférieur à la réalité. Sur l’ensemble de l’année 2024, la police nationale a recensé 1.500 victimes d’outrage sexiste et sexuel. Loin des quelque 700 alertes comptabilisées par mois par l’application The Sorority (environ 8.400 sur l’année).

Campagne de la Fondation des femmes contre les violences faites aux femmes.
Campagne de la Fondation des femmes contre les violences faites aux femmes. - Fondation des femmes

Le collectif Tous Orléans a fait une enquête pour tenter d’avoir une vision d’ensemble sur la métropole du Loiret en allant interroger directement les femmes dans la rue. Résultat : 74 % d’entre elles ont déjà été sifflées. Si 70 % des femmes qui se reconnaissent comme victimes en parlent à leurs proches, elles sont 85 % à ne pas porter plainte. « Il y a peut-être cette idée que porter plainte pour outrage sexiste, c’est un peu peine perdue du côté des victimes. Et je ne suis pas certaine que tout le monde connaisse l’existence de l’infraction », explique Julie Mattiussi.

La sensibilisation de tous

Il y a donc un travail de sensibilisation à mettre en place. Selon Yann Chaillou, fondateur de Tous Orléans, certaines femmes minimisent le harcèlement qu’elles subissent et ne se sentent pas victimes. L’enquête du collectif observe ainsi l’augmentation du taux de femmes victimes dès lors qu’on leur explique ce qui peut constituer un outrage sexiste : le sifflement, le regard insistant, être suivie dans la rue, des propos ou gestes à caractère sexuel ou dégradant et ce que certains qualifient encore de « drague lourde ».

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Des solutions pratiques existent. Umay travaille ainsi avec plusieurs agglomérations en France mais aussi des établissements, notamment des bars, « pour sensibiliser, former au vocabulaire bienveillant à employer auprès d’une victime potentielle et vérifier que l’endroit est bien un lieu de sécurité », développe Pauline Vanderquand. Yann Chaillou, de Tous Orléans, rappelle également le dispositif « Angela » : une cliente peut commander ce cocktail imaginaire au personnel du bar pour signifier qu’elle a besoin d’aide. « Il faut le diffuser partout », milite le fondateur du collectif.

L’autre problème pour Julie Mattiussi, c’est le fait que les auteurs de ces infractions ne reconnaissent pas forcément qu’ils commettent une entorse à la loi. « Ce n’est pas une excuse mais certains minimisent leurs actions » et ne se rendent pas compte de ce qu’ils risquent judiciairement, ajoute-t-elle. Le côté dissuasif perd de son efficacité.

Pour faire un don à la Fondation des femmes et apporter un soutien matériel, psychologique et juridique aux victimes de violences conjugales, c’est par ici : donner.fondationdesfemmes.org