France

« On veut tendre la main »… Les teufeurs dans la rue pour défendre un mouvement incompris (et pas très aimé)

Voilà des manifestations qui risquent de faire du bruit. Ce samedi 12 avril, des rassemblements de sound-system sont prévus à Paris et dans la plupart des grandes villes de France. L’objectif de cette « Manifestive » : défendre le milieu de la teuf et dénoncer les attaques dont il se dit victime. Au mieux incomprise, au pire carrément détestée, la free party a pourtant réussi à se maintenir en vie depuis son apparition dans les années 1990 en France. Depuis la pandémie, le mouvement semble même vivre sa meilleure vie, emmené par une jeune génération passionnée de techno, mais qui refuse d’aller en club. On la comprend. Il y a dans ce pays toute une jeunesse qui ne se souhaite pas être toisée avant d’entrer dans un établissement qui va lui facturer une pinte à 15 euros.

Chaque week-end, ils sont des milliers à se réunir pour danser toute la nuit sur des rythmes binaires qui font peur aux non-initiés. Du « boum boum » selon ses détracteurs, qui se plaisent à dépeindre des soirées pour punks à chien où la drogue circule librement. Soyons honnêtes, il y a du vrai. Mais que faut-il faire face à ces fêtes autogérées qui ont pu réunir plusieurs milliers de personnes uniquement via un message posté sur une boîte vocale ? Depuis des années, la France fait semblant de ne pas voir. Mais depuis quelques mois, la répression est grandissante. Et les teufeurs veulent le faire entendre.

Une grosse free-party avait réuni plus de 10.000 personnes en mai 2024 à Parnay, dans le Maine-et-Loire.
Une grosse free-party avait réuni plus de 10.000 personnes en mai 2024 à Parnay, dans le Maine-et-Loire. - F. Petry/Hans Lucas

Ce samedi, la première de leurs revendications sera de dénoncer les « violences policières ». Citant la mort de Steve Maia Caniço à Nantes en 2019, la teuf du Nouvel An 2021 à Lieuron (Ille-et-Vilaine) ou l’intervention inconsidérée à Redon quelques mois plus tard, les organisateurs de free party en ont « marre de se faire taper dessus ». La situation s’est pourtant globalement apaisée depuis les événements précédemment cités. Là où elle s’est dégradée, c’est dans la relation avec les préfectures. Ces derniers temps, bon nombre de préfets ont pris l’habitude de planter des arrêtés préfectoraux d’interdiction de rassemblements festifs avant chaque week-end. Le préfet de l’Hérault l’a même fait pour un an, quand le préfet d’Ille-et-Vilaine a banni tout le mois d’avril. « C’est un outil répressif qui n’était pas utilisé avant. Quand on va en teuf maintenant, on sait qu’on a une chance sur deux de prendre 135 euros d’amende », regrette Théo, porte-parole du collectif Tekno Anti Rep. Après les rassemblements, les préfectures communiquent en général sur le montant des prunes dressées : plus de 1,7 million d’euros à Quimper l’an dernier.

Un projet de loi jugé « absurde »

Ce collectif réunissant de nombreux organisateurs de free party assure vouloir « tendre la main » et agir « pour faire en sorte que les relations soient plus apaisées » avec les préfectures, les maires, mais aussi les voisins qui subissent les nuisances sonores de leur mouvement. Pas simple. D’autant que le mouvement n’a pas vraiment de soutien, ni dans les cercles politiques, ni dans la population en général. « Les gens pensent qu’on est qu’une bande de drogués, qu’on est des gens sales. C’est l’image qui nous colle. Ce qu’on voudrait montrer, c’est qu’on a une jeune génération qui se bouge pour organiser des fêtes libres et qu’elle est réprimée pour ça », poursuit Théo. Pire. Une proposition de loi déposée le 18 mars à l’Assemblée nationale vise à « renforcer la pénalisation de l’organisation » de ces événements. Les 44 députés de la majorité qui l’ont déposé estiment que les teufs « facilitent le blanchiment d’argent » et qu’elles entraînent « d’innombrables viols, blessés et morts ». « Un texte absurde, dangereux et liberticide », selon le collectif Freeform.

Les teufeurs ont failli s’étouffer en lisant cela. Eux entendent surtout dénoncer les arrêtés préfectoraux interdisant le transport de matériel qui sont brandis tous les week-ends pour empêcher les sound-system de s’installer. « Ils vont contrôler tous les gens qui transportent des enceintes pour un concert de reggae ? Ça n’a pas de sens. Et c’est contre-productif parce que ça dissuade les gens de trouver des solutions légales. Les préfets veulent juste instaurer un climat de peur », regrette Samuel Raymond, porte-parole du collectif Freeform.

Le « Airbnb de la teuf » n’a jamais pris

Une fois le matériel saisi, les propriétaires doivent contester par une action en justice. La lenteur du système fait que, même en cas de relaxe (ce qui est souvent le cas), le matériel aura été immobilisé pendant deux ou trois ans, sans raison. « C’est comme une condamnation. Ce qu’il faut, c’est avoir une médiation au niveau local », assure Théo. Certains ont essayé, notamment en Bretagne, où l’ancien préfet avait tenté de lancer un « Airbnb de la teuf ». « Le dialogue est compliqué », avait reconnu l’ancien représentant de l’État. Ses successeurs ne se sont pas embarrassés avec ces détails et ont rompu le contact. Rappelons qu’en France, tout rassemblement de plus de 500 personnes doit être déclaré.