France

« On nous pense plus riches qu’on ne l’est »… Les villages qui touchent un gros héritage, c’est pas forcément tout bénef

Voilà t’y pas qu’un triste jour, papy Machin casse sa pipe dans la modeste maison qu’il occupait depuis des décennies à Berlour-sur-Tarin, son petit village natal. Veuf et sans descendance, ce papy qui ne payait pas de mine cachait cependant bien son jeu, disposant d’un sacré pactole en immobilier et assurances vie. Un jackpot qu’il décida de léguer à sa commune bien aimée, pourvu qu’on lui fleurisse sa tombe pendant vingt ans. Si cette histoire n’est que pure fiction, dans la vraie vie, ça arrive plus souvent qu’on ne l’imagine. Et l’aubaine que cela représente pour un village cache aussi parfois une forêt de galères.

Selon la Fondation de France, les communes sont les collectivités qui reçoivent le plus de dons et de legs, et les chiffres ne cessent d’augmenter. De 40 millions d’euros par an entre 2012 et 2015, les montants cumulés ont dépassé 113 millions d’euros en 2022.

Des millions tombés du ciel

Certes, la plupart du temps, les héritages tombant dans l’escarcelle des communes ne sont pas faramineux. Mais Il existe bon nombre d’exemples impliquant des sommes astronomiques. Dans le Var, Tourrettes et ses 3.000 habitants ont touché un legs de 2,5 millions d’euros en 2024. Thiberville, un village normand de 1.700 âmes, a chopé un héritage de 10 millions d’euros l’année dernière. En 2019, près de 12 millions sont tombés du ciel sur le minuscule village de Montézic, en Aveyron. Et la palme revient à Rouez, village sarthois de 800 habitants, qui a reçu en 2008 un héritage constitué d’immobilier et de foncier estimé à 38 millions d’euros.

Pour tous ces exemples, les conseils municipaux ont accepté le legs sans avoir à débourser de frais de succession, ou presque. En effet, « les collectivités et organismes publics sont exonérés de droits de succession sur les biens qui leur adviennent par donation ou succession, dès lors qu’ils sont affectés à des activités non lucratives », précise à 20 Minutes la direction générale des finances publiques (DGFIP). En gros, si le legs sert à réparer le toit de la mairie, ça passe. S’il sert à construire une salle de ciné, c’est imposable.

A Rouez, la commune a dû verser 7 millions à l’Etat. « Dans le testament, il était précisé que les frais de succession de 10 usufruitiers devaient être payés par la ville, ce qui représentait quand même huit fois le budget annuel de la commune », se souvient le maire, Ludovic Robidas. Une somme folle qu’il fallait régler sous six mois, obligeant Rouez à faire l’emprunt du siècle. « Nous avions dans l’idée de vendre un bien de l’héritage pour payer la succession, sauf qu’une clause du testament empêchait cette possibilité », reconnaît l’élu.

Des clauses parfois très contraignantes

En acceptant un legs, les communes s’engagent en effet, de fait, à respecter les éventuelles « conditions particulières » instaurées par les défunts dans leur testament. Pas le choix, c’est obligatoire puisque « l’inexécution partielle ou totale de ces charges peut entraîner la révocation du don ou legs », précise l’Association des maires de France (AMF). Et même si les conditions sont jugées trop restrictives, il faudra une décision de justice pour que la commune puisse les assouplir, note l’AMF. Et dans le testament faisant de Rouez son légataire universel, le richissime défunt en avait mis plusieurs, des clauses.

Les biens légués sont « inaliénables », autrement dit la commune ne peut les vendre. La ville devait ensuite bâtir 50 logements pour des personnes âgées dans le besoin et créer une fondation pour administrer les biens de l’héritage. « Les comptes de la fondation et de la ville sont dissociés, ce n’est donc par Rouez qui perçoit les loyers des biens hérités », explique le maire. Au contraire, la ville doit même débourser des « frais indirects » liés à cet héritage. « Au début, ça a été compliqué d’expliquer ça aux habitants qui imaginaient déjà les impôts baisser drastiquement », glisse Ludovic Robidas.

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A Rouez, donc, les habitants ne se pavanent pas sur des trottoirs en or sertis de diamants. « C’est même parfois difficile d’obtenir des subventions de l’Etat parce qu’on nous pense plus riches qu’on ne l’est », déplore le maire. Pour autant, personne ne se plaint, au contraire. Malgré ses 800 habitants, Rouez est très bien équipée, profitant indirectement des retombées de l’héritage providentiel. Une bibliothèque, un stade de foot, une salle de sport ou encore une maison des apprentis… Et elle attire même de nouveaux habitants, au point que la population du village croît de « 2 à 3 % par an » se félicite le maire.