On ne raconte pas une scène d’infanticide à l’heure du repas : la détresse des travailleurs de la mort
Charles Guyard, journaliste indépendant à Nantes et ancien employé de pompes funèbres, a publié un livre en août dernier sur la charge psychologique des employés de services funéraires face à des événements dramatiques. Il souligne qu’« après des évènements dramatiques, tous déplorent de ne pas pouvoir simplement appeler un numéro vert » pour obtenir un suivi psychologique approprié.
Attentat sur la promenade des Anglais, crash du mont Sainte-Odile, tempête Xynthia… Derrière les tragédies les plus médiatisées de ces dernières années, les employés des services funéraires portent une charge psychologique lourde, souvent insuffisamment soutenue. C’est précisément le thème du dernier livre de Charles Guyard, journaliste indépendant à Nantes, publié en août dernier. Ancien employé de pompes funèbres, il met en lumière un sujet tabou aux conséquences bien réelles.
Durant sa brève carrière dans le secteur funéraire, le journaliste souligne que certaines réalités sont rapidement apparentes. « Beaucoup l’ignorent, mais c’est aux employés des pompes funèbres de récupérer les corps percutés par un train, les cadavres de femmes tuées par leur compagnon ou les victimes des attentats », précise-t-il. Ces situations révèlent un manque de formation adéquate et l’absence de suivi psychologique ressenti par les professionnels du secteur.
Concernant le suivi psychologique, Charles Guyard déclare : « Quand on suit une formation funéraire, on est avant tout formé à la réglementation, pas à la mort violente dans tout ce qu’elle engendre ». Les souvenirs des sonneries de téléphones après un attentat, des odeurs, ou même l’âge des victimes peuvent laisser des séquelles psychologiques lourdes sur ceux qui s’occupent des corps. « Après des événements tragiques, tous déplorent de ne pas pouvoir simplement appeler un numéro vert », insiste-t-il, rappelant que le fait d’être habitué à ce travail ne signifie pas être insensible.
Dans *Travailleurs de la mort*, l’auteur relate sa rencontre avec des employés funéraires mobilisés après l’attentat du Bataclan. Quelques jours après le drame, « le patron a perçu un malaise dans ses équipes et a fait intervenir une psychologue sous forme de table ronde dans laquelle chacun a pu délivrer son ressenti. Toutefois, il en ressort que cette professionnelle de santé ne connaissait que très peu le milieu du funéraire et les problématiques qui y sont liées ». Après avoir exprimé leurs témoignages, « chacun est reparti sans réel accompagnement ».
Dans ce secteur presque exclusivement masculin, réprimer ses émotions est la norme. « Les exprimer est vite perçu comme une faiblesse. Ainsi, au travail, chacun adopte souvent une attitude de vantardise ou de fanfaronnade », analyse Charles Guyard, ajoutant que, lorsqu’ils rentrent chez eux, les employés doivent vivre avec ce qu’ils ont vécu. Bien que nombreux soient ceux qui ont choisi ce métier par « volonté d’accompagner » les familles dans ces moments difficiles, beaucoup font face aux conséquences directes de leur profession. « Le manque de suivi peut avoir de lourdes répercussions dans la vie privée, évoque le journaliste, mentionnant des dépressions, des divorces, des addictions ou même des suicides. Les employés du funéraire n’ont aucun sas de décompression à la maison, précise-t-il, on ne raconte pas une scène d’infanticide à ses enfants à l’heure du repas. »
L’organisation d’obsèques très médiatisées peut également peser sur les membres de la profession. Charles Guyard a rencontré d’anciens collègues chargés de veiller au bon déroulement des funérailles de la famille de Ligonnès. « Le contexte était très particulier, car il n’y avait pas un mais cinq corps. De plus, les obsèques étaient hautement suivies et surveillées, rapporte le journaliste, les employés des pompes funèbres ayant reçu l’ordre d’ouvrir l’œil et de signaler toute personne pouvant être le père de famille (Xavier Dupont de Ligonnès est toujours recherché pour le meurtre de sa femme et de ses quatre enfants). »
Enfin, si Charles Guyard a choisi de mettre en lumière les difficultés de la profession à travers des événements largement connus, il explique que ce sont également des scènes plus simples qui peuvent faire craquer les salariés les plus aguerris. « Certains s’occupent des morts depuis plus de quinze ans avant de céder à l’enterrement d’une grand-mère décédée dans son sommeil », conclut-il.

