France

« On m’a enlevé mon fils » : Mères victimes de violences séparées de leurs enfants

Lundi 27 octobre, Charly et Patricia ont assigné l’État en justice pour « non-protection et violences institutionnelles », avec un délibéré annoncé au 8 décembre. Selon le site du gouvernement, 143.000 enfants vivent dans des foyers où des femmes sont victimes de violences conjugales.


L’émotion est encore palpable lorsque Patricia évoque son histoire et celle de son fils, Charly. Comme d’autres mères en France, cette Niçoise a été victime d’un système judiciaire et administratif qui favorise la parole du père au détriment de celle de la mère et de l’enfant.

Après des années de lutte et une audience au Tribunal de Paris le lundi 27 octobre, Charly et Patricia se disent enfin « soulagés ». Il y a neuf ans, alors que Patricia est enceinte, son partenaire tente de la tuer par strangulation quelques jours avant de la « massacrer à coups de barre de fer », d’après les termes utilisés par la jeune femme. Cette violence insupportable la conduit à l’hôpital, où son accouchement est déclenché un mois avant la date prévue. Pendant qu’elle se remet de ce drame, le père de Charly, « qui ne voulait pas de lien avec l’enfant » durant toute la grossesse, « se déclare en tant que tel à la mairie ».

**Bataille judiciaire**
Patricia ne le sait pas encore, mais malgré leur séparation, la naissance de son fils sera retournée contre elle par son agresseur. Malgré trois plaintes et un dispositif « téléphone grave danger », le père de Charly continue de la harceler en lui rendant visite régulièrement et en lui lançant des menaces de mort. « On est dans un contexte où le père ne s’est jamais occupé de Charly et où les violences conjugales ont perduré après la séparation, jusqu’à ce que l’accusé se retourne contre la victime », souligne Suzanne Frugier, secrétaire générale de l’association Mouv’ Enfants.

En 2019, après avoir déposé cinq plaintes et envoyé un courrier à la Présidence de la République, Patricia apprend que son ex-conjoint est placé en garde à vue et qu’il n’a plus le droit de s’approcher d’elle. « C’est là qu’il a commencé à instrumentaliser la justice, estime la Niçoise, il a multiplié les référés pour obtenir la garde de Charly ». Ces démarches se traduisent par plusieurs visites médiatisées qui échouent à chaque fois. À plusieurs reprises, Charly refuse de rencontrer son père et confie au juge des enfants qu’il « a peur que (son) père le tue ». Cette situation conduit l’ex-conjoint de Patricia à porter plainte une douzaine de fois pour « non-présentation de l’enfant ».

S’ensuit ainsi une lutte judiciaire où Patricia est accusée d’être « une manipulatrice » incitant son fils à « mentir ». Une situation fréquente dans le cadre de violences conjugales ou familiales, selon Rebecca Royer, avocate engagée dans la protection de l’enfance : « dans de nombreux cas, les magistrats, ne sachant pas quel parent croire, finissent par placer l’enfant en foyer ».

**Un dilemme impossible pour les mères protectrices**
Un soir de septembre 2023, la police vient chercher Charly à la sortie de l’école pour l’emmener en foyer. « Les mots sont trop faibles pour exprimer ce que je ressens à ce moment, dit Patricia, on m’a enlevé mon fils ». Rebecca Royer décrit une situation loin d’être unique où « le parent protecteur » se retrouve dans un dilemme qui ne lui est jamais favorable. Soit « la mère fuit la violence avec ses enfants et est accusée de non-présentation d’enfants », soit « elle s’enfuit seule et ne s’occupe des enfants que lorsque son conjoint est absent. Dans ce cas, l’aide sociale à l’enfance estime que la mère ne remplit pas son devoir de protection ».

Celle qui accompagne de nombreuses clientes dans des situations similaires à celle de Patricia n’est pas surprise du tournant que prend l’affaire Galet. « Beaucoup de mes clientes croient que la justice n’ira pas jusqu’au placement en foyer puisque rien ne leur est reproché. C’est faux, même si cela semble surréaliste, on leur reprochera de s’inquiéter excessivement ».

**« On ne protège pas les enfants »**
En foyer, Charly est violé, soumis à des traitements chimiques, maltraité et privé de scolarité. Patricia, qui a le droit de le voir une fois par semaine, passe parfois jusqu’à cinq mois sans nouvelles de son fils. « Je ne connais aucun cas d’enfant pour lequel le placement en foyer se passe bien », alerte l’avocate, qui dénonce un manque de budget et de personnel au sein de l’aide sociale à l’enfance. Malgré un passage à l’hôpital dû à des violences dans le foyer, Charly est renvoyé dans un autre foyer. « Le système administratif et judiciaire actuel ne protège pas les enfants et, surtout, il ne les croit pas », insiste l’experte.

Médias, élus locaux, associations, juges pour enfants… Pendant près d’un an, « Patricia toque à toutes les portes », raconte Suzanne Frugier. Grâce à sa détermination, la sudiste parvient « par miracle » à obtenir le droit de récupérer la garde de son enfant. « Il était dans un état de crasse inimaginable », décrit Patricia, encore émue.

Le lundi 27 octobre, Charly et Patricia ont assigné l’État en justice pour « non-protection et violences institutionnelles ». Le délibéré est prévu pour le 8 décembre. « Dans cette affaire, l’État est défaillant », dénonce la militante des droits des enfants, présente lors de l’audience. « En 2025, malgré de nombreux rapports, il n’existe pas de politique publique véritablement dédiée à la protection des enfants » et à la reconnaissance des mères victimes de violences devant la justice. Selon le site du gouvernement, 143.000 enfants vivent dans des foyers où des femmes subissent des violences conjugales.