Objectif Mars : Mais pourquoi l’Amérique veut-elle absolument envoyer des hommes sur la planète rouge ?

«[Nous enverrons] des astronautes américains planter la bannière étoilée sur la planète Mars. » D’une seule phrase, prononcée lors de son discours d’investiture le 20 janvier dernier, Donald Trump a remis au premier plan la conquête de la planète rouge. Bien que le futur programme martien ne soit pas encore défini, la Nasa envisage d’envoyer ses astronautes fouler le sol de notre planète voisine « au plus tôt dans les années 2030 ».
Une vision que semble partager le futur patron de la Nasa, Jared Isaacman : l’homme d’affaires a déclaré devant le Sénat, mercredi, vouloir « [donner] la priorité à l’envoi d’astronautes américains sur Mars ». Elon Musk, fondateur de l’entreprise spatiale SpaceX, projette quant à lui de coloniser Mars et d’y envoyer un million de personnes « dans vingt ans au mieux, mais probablement plutôt trente ».
Si aucun de ces projets ne semble atteignable dans les délais annoncés, les experts sont optimistes : « On ira vraiment sur Mars, croit Francis Rocard, responsable de l’exploration du Système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). La question, c’est combien de temps ça va prendre parce qu’il y a d’énormes difficultés technologiques. Ça ne va pas se faire avant 2040, voire plus. » Un projet qui rappelle l’épopée des missions Apollo, qui se sont étalées de 1961 et 1972 et ont permis de poser les premiers hommes sur la Lune, avec la même question au bout : pourquoi tient-on tant à envoyer des humains sur Mars ?
Maintenir l’industrie spatiale
La réponse est bien plus complexe qu’il n’y paraît tant les arguments sont nombreux et ponctués d’incertitudes. « Sécurité nationale, avance technologique, science, soft power international… Aucun pris individuellement ne justifie un programme à plusieurs centaines de milliards de dollars », résume Francis Rocard, citant une étude de 2014 de la National Academy of Sciences, l’Académie nationale des sciences, demandée par le Congrès américain et intitulée Pathways to Exploration… (« Les voies d’exploration »).
D’un point de vue économique, le programme martien permet avant tout de poursuivre les programmes habités américains. D’abord car il nécessite un retour sur la Lune, prévu mi-2027 dans le cadre du programme Artemis, censé poser les fondations d’une base lunaire qui servirait d’entraînement et de tremplin pour les missions vers Mars. Mais aussi et surtout car un tel programme permettrait de « maintenir 70.000 emplois de haut niveau » dans l’industrie spatiale, de « prolonger sur vingt ou trente ans des mannes financières importantes pour les industriels concernés », développe l’astrophysicien au Cnes.
Un argument déjà utilisé par le passé pour soutenir « deux grands programmes qui se sont étalés sur des décennies, la navette spatiale puis la Station spatiale internationale (ISS) », poursuit-il. Ces derniers « ont permis de maintenir des budgets à la Nasa pour les vols habités à plus de 10 milliards de dollars par an » après les missions Apollo. Aujourd’hui, avec la fin programmée de l’ISS en 2030, « il faut passer à autre chose, pose Francis Rocard. Il n’y a pas 36 endroits où on peut envoyer un équipage […], donc s’il faut coûte que coûte maintenir l’activité, c’est Mars. Et c’est un projet idéal parce que c’est du très long terme ».
La science au second plan
Autre argument de taille de la Nasa pour envoyer des hommes sur Mars : l’intérêt scientifique. L’agence spatiale américaine voit dans une présence humaine sur la planète rouge l’opportunité d’avancer la recherche sur de nombreuses questions, notamment sur la présence éventuelle de vie passée ou actuelle sur Mars ou sur l’évolution de la planète au cours du temps. Selon Francis Rocard, « la priorité serait de rapporter sur Terre les échantillons » prélevés par le rover Perseverance dans le cadre de la mission Mars Sample Return, dont les coûts ont explosé.
Mais l’intérêt scientifique de missions habitées vers Mars, bien que réel, « ne sera pas le moteur de ces missions », estime l’expert, auteur de Dernières nouvelles de Mars (éd. Flammarion, 2020). Tout comme « la science de la Lune n’était pas le sujet » des missions Apollo, « la science de Mars vient après », selon lui. L’objectif étant avant tout de prouver qu’on peut aller sur Mars : quitte à être là, autant « faire des choses utiles, donc on réfléchit à ce qu’ils pourraient faire une fois qu’ils seront là-bas. » D’autant que certaines expériences nécessitent d’être menées à des endroits très précis de la planète rouge, or « ces critères-là seront complètement au second plan dans le cadre des missions habitées, car le critère numéro un sera la sécurité de l’équipage et les ressources qu’il pourra potentiellement exploiter sur place, comme l’eau ».
Un projet surtout politique
Les futurs programmes martiens représentent donc surtout un enjeu de puissance pour les Etats-Unis. « Historiquement, les missions habitées ont toujours été le vecteur d’objectifs politiques », pose Paul Wohrer, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) spécialiste des questions spatiales. Des objectifs qui semblent être au cœur des préoccupations de Donald Trump qui a mobilisé, dans son discours d’investiture, « des mythes fondateurs des États-Unis : le mythe de la frontière, de la destinée, l’idée de s’étendre vers d’autres mondes », des thématiques « mobilisées par à peu près tous les présidents quand ils parlent de l’Espace, de Kennedy à Trump ».
« Les États-Unis sont aujourd’hui la première puissance mondiale en termes économiques, militaires… Est-ce que l’objectif d’une mission martienne serait finalement l’apothéose de ce type de modèle ? » interroge Paul Wohrer. L’incertitude du projet martien, pas encore défini clairement, ne permet pas de déterminer l’objectif réel de telles missions. Bien qu’il soit « trop tôt pour anticiper ce qui se passerait », le spécialiste des politiques spatiales envisage « qu’un programme martien serait vraisemblablement beaucoup moins coopératif qu’un programme lunaire, notamment en termes de coopération internationale », avec « les Etats-Unis d’abord, voire presque seuls ».
Un programme très flou
Mais sans programme martien clair à l’heure actuelle, « personne ne sait ce qui va se passer. On sait juste qu’il y a un tropisme très favorable à l’homme sur Mars avec Trump », abonde Francis Rocard. D’autant qu’il y a encore « beaucoup d’incertitudes : c’est très difficile et très long d’y aller [environ neuf mois], il y a la réaction des humains, la résistance des vaisseaux, le fait qu’il puisse y avoir des pannes… » énumère Paul Wohrer. D’où l’intérêt de procéder par étapes, tant techniquement que d’un point de vue budgétaire.
Notre dossier sur l’espace
Mais le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et ses ambitions martiennes clairement affichées, partagées par son proche conseiller et patron de SpaceX Elon Musk, ont fait planer des doutes sur les futures missions lunaires, que le président américain n’a pas évoquées depuis le début de son mandat. « On est dans l’incertitude totale sur le sujet », explique Francis Rocard. La nomination par le Congrès de Jared Isaacman à la tête de la Nasa, imminente, permettra sûrement d’y voir plus clair. « Quelle décision va-t-il prendre ? » interroge l’expert. Un programme martien pourrait arriver plus vite que prévu… ou pas.