France

Numérique : Avec son trésor de 300.000 pièces, Evernex prolonge la durée de vie de serveurs du monde entier

« Notre Tour Eiffel », s’exclame Tony Senecal. Voilà de longues minutes déjà que le vice-président d’Evernex nous fait déambuler dans les 6.000 m² du nouveau hub de l’entreprise, dans la zone industrielle de Mitry-Compans (Seine-et-Marne), à quelques encablures de l’aéroport de Roissy. Jusqu’à nous faire passer une porte qu’on ouvre par digicode et pénétrer dans la caverne d’Alibaba de la société.

Là, sur des étagères de plusieurs mètres de haut, Evernex stocke 36.000 références de pièces détachées. Des serveurs pour bonne partie, mais aussi tout le matériel informatique qui va avec et qui composent les data centers. Cartes mères, mémoires, processeurs, disques durs, blocs d’alimentation, baies de stockage… Au total, l’entreprise stocke près de 300.000 composants sur son site de Compans, inauguré début février et qu’elle présente comme le plus grand d’Europe en la matière.

500 tonnes de matériels informatiques usagés récupérés…

Toutes ces pièces sont soigneusement étiquetées et enregistrées dans une base de données, de manière à pouvoir être sorties en quelques minutes, empaquetées et expédiées à travers le monde. C’est le cœur de métier d’Evernex, né il y a tout juste quarante ans à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). La société rachète dans toute l’Europe le matériel informatique usagé dont les entreprises cherchent à se débarrasser. Pas d’ordinateurs, de tablettes et autres appareils électroniques, mais ce que l’on voit moins : tout ce qui touche au fonctionnement des data centers. « On récupère 500 tonnes de matériels chaque année », reprend Tony Senecal. Comme ces cinq baies de stockage qui attendait ce jeudi-là d’être désossées.

Chaque pièce récupérée est ensuite testée. Pour 70 % de ces 500 tonnes, la route s’arrête là. Défectueux ou trop désuets, ils sont alors vendus à des recycleurs qui récupéreront l’or, le palladium et autres minerais stratégiques que ces composants contiennent.

Les 30 % restant ne sont pas rien. En 2022, Evernex a reconditionné 142.000 pièces. Une partie est revendue à des entreprises. L’autre rejoint l’immense bibliothèque de 850.000 de pièces détachées que gère Evernex, à la fois à Mitry-Compans, son principal site, mais aussi dans 330 autres entrepôts à travers le monde. C’est dans ce stock qu’elle puise pour remplacer les pièces défectueuses de ses clients dont elle assure la maintenance des data centers. « On a 11.000 contrats de maintenance, détaille Tony Senecal. On travaille à la fois comme sous-traitants de grands constructeurs (IBM, HP…) mais aussi, de plus en plus, avec des clients finaux : des grandes entreprises des télécommunications, de l’énergie, de l’industrie… »

L’empreinte du numérique surtout à la fabrication

Revente ou maintenance, le but est toujours le même : permettre aux entreprises d’allonger la durée de vie de leurs serveurs. L’enjeu est de taille, a encore rappelé une étude de l’Ademe et l’Arcep* le 6 mars. Le numérique est déjà jugé responsable de 2,5 % des émissions françaises de gaz à effet de serre. Et la forte augmentation des usages laisse présager une très forte hausse de ces émissions. « De 45 % d’ici à 2030, si rien n’est fait », pointe le rapport. « Cette empreinte n’est pas tant liée à l’usage que l’on fait du numérique mais à 79 % à la fabrication des équipements, et donc à la fréquence à laquelle on les renouvelle », précise Erwann Fangeat, de la direction « Economie circulaire et déchets » de l’Ademe. On parle des terminaux (ordinateurs, smartphones, tablettes), mais aussi de la face cachée du numérique, donc, dont font justement partie les data centers. Surtout, les émissions de CO2 ne sont pas le seul impact du numérique à prendre en compte. Erwann Fangeat insiste aussi sur l’épuisement des ressources auquel contribue la fabrication de ces équipements numériques, gourmande en métaux dits stratégiques. « Car en quantité limitée, mal répartis géographiquement et pourtant très demandés, notamment dans le cadre de la transition énergétique », précise-t-il.

« Prolonger la durée de vie jusqu’à 10 voire 15 ans »

C’est alors tout l’intérêt du reconditionnement, qu’avait montré l’Ademe dans une étude de septembre 2022. « Acheter un ordinateur portable reconditionné à la place d’un neuf permet d’éviter 27 kg équivalent CO2 (eqCO2) par an et l’extraction de 127 kg de matière » pointait le rapport, qui avait aussi fait la comparaison pour les smartphones, tablettes, ordinateurs fixes. Et les serveurs ?  « Nous n’avions pas assez de données pour le faire », répond Erwann Fangeat, en estimant tout de même les gains à peu près équivalents à ceux sur les ordinateurs portables.

A Evernex, on a fait les calculs. « Au bout de cinq ans, bien souvent, les fabricants de serveurs n’ont plus l’obligation de maintenir à disposition des pièces de rechange sur leurs produits et incitent leurs clients à les renouveler, pointe Tony Senecal. Passé ce délai, nous devenons une alternative. Nous pouvons allonger la durée de vie des serveurs jusqu’à dix voire quinze ans. » Certes, Evernex génère aussi son lot d’émissions de gaz à effet de serre, notamment en expédiant ses pièces partout dans le monde, souvent en avion **. « Tout de même, en évitant à des entreprises de racheter des serveurs neufs, on évite plus de CO2 qu’on en émet, assure Elise Crunel, responsable RSE de l’entreprise. L’an dernier, on a ainsi fait éviter 114.000 tonnes d’eqCO2 à nos clients. »

Chaque année, Evernex récupère 500 tonnes de matériels informatiques que les entreprises cherchent à se débarasser. Comme ces cinq baies de stockage qui attendait ce jeudi-là d’être désossées.
Chaque année, Evernex récupère 500 tonnes de matériels informatiques que les entreprises cherchent à se débarasser. Comme ces cinq baies de stockage qui attendait ce jeudi-là d’être désossées. – F.Pouliquen / 20 Minutes

Ancrer le réflexe du reconditionnement

Reste désormais à ancrer ce réflexe du reconditionnement, lequel pèse encore peu par rapport à l’option de l’achat neuf dans les entreprises. C’est tout le travail de fond que mènent l’Ademe et des cercles de réflexions sur le numérique. « Il y a aussi la loi Agec, ajoute Elise Crunel. Elle impose désormais aux acteurs publics de consacrer 20 % de leurs dépenses – notamment de matériels informatiques – à l’achat de produits reconditionnés ou matériaux recyclés, ajoute Elise Crunel. Avec l’espoir que le privé s’en inspire ».

Tony Senecal dit déjà observer un changement de mentalité ces dernières années. Erwann Fangeat l’entrevoit aussi, au moins indirectement : « De plus en plus d’acteurs se spécialisent dans le reconditionnement et le marché est florissant, signe qu’il y a une demande derrière ». Le déménagement d’Evernex en témoigne. Trop à l’étroit dans son site historique, elle a pu augmenter de 40 % ses capacités de stockage à Mitry-Compans.