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Nouvelle-Zélande : La démission surprise de Jacinda Ardern peut-elle créer un précédent ?

Un peu plus de cinq ans de mandat et rideau. Jacinda Ardern a pris de court cinq millions de Néo-Zélandais en annonçant jeudi sa démission. A la tête du pays depuis 2017, la Première ministre quitte son poste, épuisée. « Je sais ce que ce travail exige, et je sais que je n’ai plus assez d’énergie pour lui rendre justice. C’est aussi simple que cela », a précisé la dirigeante de 42 ans dans un discours empreint de franchise.

La portée de la sortie de scène de Jacinda Ardern, à l’image de son action politique et de sa personnalité, dépasse largement les frontières néo-zélandaises. La décision de la cheffe du Parti travailliste, qui a annoncé rester députée jusqu’en avril, peut-elle inspirer d’autres personnalités à dire stop ? A ne pas s’accrocher au pouvoir ?

« Cette démission doit créer un précédent. Il faut arriver à déconnecter le carriérisme et la politique. On a une perception ancrée, celle que l’exercice du pouvoir est un métier. En réalité, si l’on veut que ça réponde à une promesse de démocratie, on ne devrait pas pouvoir faire carrière en politique », analyse Léa Chamboncel, journaliste, autrice du livre Plus de femmes en politique !

« Dramatique de perdre de tels talents à cause d’attaques sexistes »

L’usure du pouvoir se lit derrière ce départ surprise. Et, surtout, la difficulté d’être une femme en politique. « A cette échelle, c’est une première. Mais, en tant que femme politique, je suis entourée de femmes qui se posent souvent cette question-là, note Alice Coffin, conseillère de Paris (12e), autrice du livre Le génie lesbien et présente en Nouvelle-Zélande lors des attentats de Christchurch en 2019. Il faut voir les attaques qu’elle a subies. Tout son discours a résonné par rapport à ma propre expérience politique. J’ai reçu la nouvelle de manière double : c’est une démarche rare, à saluer, mais aussi un signe de la toxicité absolue des attaques contre les femmes en politique. C’est dramatique de perdre de tels talents à cause d’attaques sexistes ».

A peine quelques heures après l’annonce de Jacinda Ardern, la BBC a d’ailleurs été épinglée pour un titre d’article sexiste à son encontre.

Elue à la tête de son pays, à 37 ans, plus jeune Première ministre de Nouvelle-Zélande depuis 1856, Jacinda Ardern a marqué son passage au sommet de l’Etat. Saluée pour sa gestion de l’épidémie de Covid-19, elle s’est distinguée, outre sa gestion politique, par plusieurs gestes symboliques. Comme lorsqu’elle avait enfilé un voile au soutien des familles musulmanes endeuillées par l’attentat de Christchurch, ou quand elle a débarqué à l’ONU en 2018 accompagnée par sa fille, âgée de trois mois.

« Se retirer, une décision très humble »

« Je pense que diriger un pays est le poste le plus privilégié que l’on puisse avoir, mais aussi l’un des plus difficiles. Vous ne pouvez et ne devez pas le faire si vous n’avez pas un réservoir d’énergie plein, plus un peu de réserve pour les défis inattendus […], a glissé la future ex-Première ministre, fille de policier originaire de l’arrière-pays de l’île du Nord. Mais je ne pars pas parce que c’était difficile. Si cela avait été le cas, je serais probablement partie deux mois après le début du poste ! Je pars parce qu’un rôle aussi privilégié s’accompagne de responsabilités – la responsabilité de savoir quand vous êtes la bonne personne pour diriger, et aussi, quand vous ne l’êtes pas. »

Quitter le poste le plus prestigieux de son pays, admettre sa fatigue, se mettre en retrait pour privilégier l’intérêt général… Autant d’actes rares en politique, comme une sorte de guide de bonnes pratiques laissé à ses successeurs. « Se retirer, c’est une décision très humble, c’est ce qui manque à beaucoup d’hommes politiques. Elle nous a montré que c’était possible de sortir de la verticalité de l’exercice du pouvoir, en admettant qu’on pouvait faire des erreurs, analyse Léa Chamboncel. On associe domination et pouvoir. Tant qu’on n’aura pas brisé ça, les dirigeants politiques auront toujours les mêmes caractéristiques. »

L’onde de choc absorbée, les leçons à tirer de cette démission ne semblent pas (encore ?) apprises par les dirigeants politiques. « L’exemple emblématique, c’est Sandrine Rousseau, mais il y en a d’autres sur le plan local. Les hommes politiques ne sont pas lucides, ils continuent à attaquer. Je vois beaucoup de réactions qui montrent que ça ne bouge pas », déplore Alice Coffin.

« J’espère qu’en retour, je laisserai derrière moi la conviction que l’on peut être gentil, mais fort. Empathique, mais décisif. Optimiste, mais concentré. Que vous pouvez être votre propre leader – un qui sait quand il est temps de partir », a conclu Jacinda Ardern dans son discours. En 2017, lors de sa prise de fonction, elle avait déclaré, non sans une pointe d’humour qui la caractérise. « Tout le monde sait que je viens d’accepter sans préavis le pire poste politique. » Prémonitoire.