Nouvelle-Calédonie : Manuel Valls est-il en train de perdre son pari avec « l’accord de Bougival » ?

Cela ressemble à un déplacement de la dernière chance. Manuel Valls est depuis mardi, et pour quatre jours, en Nouvelle-Calédonie, pour tenter de sauver son « accord de Bougival ». Le ministre des Outre-mer a exhorté mercredi à « saisir l’opportunité historique » de ce texte sur l’avenir du territoire, signé en juillet, mais fragilisé par le rejet des indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). On fait le point sur les enjeux autour de cette visite avec Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie*.
C’est quoi « l’accord de Bougival » ?
L’accord de Bougival prévoit notamment la création d’un État de Nouvelle-Calédonie, doté d’une nationalité propre. Il pourrait ainsi obtenir plusieurs compétences régaliennes tout en restant inscrit dans la Constitution française. Il a été conclu le 12 juillet dernier dans la ville de Bougival (Yvelines) après plusieurs jours de négociations entre l’État, les indépendantistes et les loyalistes. Présenté comme une opportunité « historique » par Manuel Valls et Emmanuel Macron, le texte avait vite suscité l’opposition des militants indépendantistes du FLNKS, notamment sur la question du droit à l’autodétermination et de la reconnaissance du peuple Kanak. Au grand dam des autres formations politiques de l’archipel.
« Manuel Valls a tenté de faire un coup en juillet avec cette mise en scène d’un accord et piéger le FLNKS, mais en réalité, il n’y a jamais eu d’accord », prévient Mathias Chauchat, « c’était un projet d’accord, qui devait être soumis ensuite aux centrales des partis. Mais les divergences de fond n’étaient pas réglées, et les indépendantistes l’ont rejeté en bloc ».
Pourquoi ça bloque ?
« Il n’est pas envisageable d’accepter un texte qui prolongerait une nouvelle forme de colonisation », réagit le FLNKS dans un communiqué, ce mercredi 20 août, après sa rencontre avec Manuel Valls. Le mouvement indépendantiste dénonce notamment le « dégel du corps électoral ». L’accord de Bougival stipule que le corps électoral local sera ouvert aux résidents en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans à partir des élections provinciales de 2031. La réforme électorale avait été à l’origine des émeutes de mai 2024, qui ont fait 14 morts et plus de 2 milliards d’euros de dégâts.
« Cette tentative de modifier le corps électoral est perçue comme une forme de recolonisation par les indépendantistes. Il y a une distance entre la rhétorique de l’Etat sur la décolonisation, et les attentes du peuple kanak », insiste Mathias Chauchat. « On a en réalité un statut d’autonomie, qui prépare juridiquement la désinscription de la Nouvelle-Calédonie de la liste de l’ONU des territoires à décoloniser. On dit aux Kanaks : »Vous serez des minorités autochtones comme les Maoris ou les Aborigènes, mais le pays ne vous appartient plus », ce qui est inacceptable », ajoute le juriste.
Que peut-il se passer ?
Manuel Valls multiplie depuis son arrivée mardi les rencontres avec les responsables politiques pour tenter de relancer le dialogue. Mais les chances de trouver un accord semblent minces à en croire le spécialiste. « Il n’y a aucune chance que le processus de Bougival aille à son terme, car les mêmes erreurs produisent les mêmes effets. L’État refuse en réalité depuis 2020 de discuter d’un partenariat et d’une indépendance comme c’est le cas dans toutes les autres îles du pacifique », assure Mathias Chauchat. Le texte de Bougival prévoit aussi un nouveau report des élections provinciales, qui concentrent la majorité des compétences de l’archipel, à mi-2026. Une autre ligne rouge pour les indépendantistes.
« Ce troisième report montre que le gouvernement ne veut pas organiser des élections avec le corps électoral actuel. Or ce sujet, comme la question de l’exploitation du nickel, risque de réveiller un irrationnel et de radicaliser les populations kanaks, notamment la jeunesse », prévient-il. Le FLNKS demande « un nouvel accord politique avec une date claire d’accession à la pleine souveraineté avant 2027 ». Manuel Valls a lui prévenu que « sans accord, sans stabilité politique, il n’y aura pas de repreneurs pour le nickel, la pénurie de soignants perdurera et les inégalités continueront de se creuser ».
La motion de censure, qui pourrait frapper le gouvernement Bayrou à l’automne, pourrait-elle rebattre les cartes ? « Certains l’espèrent ici, remarque Mathias Chauchat, mais la Nouvelle-Calédonie plongerait dans une totale incertitude, et un risque de radicalisation des deux identités du pays. »

