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Nouvelle-Aquitaine : C’est quoi ce câble à très haute tension de 400 km entre la France et l’Espagne ?

C’est un projet colossal chiffré à quelque 3 milliards d’euros, et qui doit permettre de quasiment doubler l’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne. RTE (Réseau de transport d’électricité) et Red Eléctrica ont démarré les travaux de construction d’une ligne électrique à très haute tension, sur 400 km, entre les postes électriques de Cubnezais, près de Bordeaux, et de Gatika, près de Bilbao.

La carte du projet d'interconnexion électrique entre la France et l'Espagne.
La carte du projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne. - RTE

Le tracé se fera en grande partie au fond de l’océan, mais une partie devra faire une incursion dans la terre ferme. En Gironde, il faut en effet, depuis le poste de Cubnezais, rejoindre l’océan au niveau du Porge, et dans les Landes il est nécessaire de contourner le gouf de Capbreton. Un canyon sous-marin de 300 km de long et dont la profondeur, qui va jusqu’à 4.500 mètres, atteint déjà une centaine de mètres à quelques encablures du littoral.

« Faire jouer la solidarité entre les énergies renouvelables »

C’est dans les Landes que la crispation est la plus intense. Jeudi, une opération d’expulsion d’opposants à cette construction a eu lieu à Soorts-Hossegor, où passe le tracé de cette ligne de 400.000 volts. RTE a en effet obtenu une décision de justice pour faire appel à la force publique et lui permettre de poursuivre ses travaux.

Contacté par 20 Minutes, Jérôme Rieu, délégué de RTE pour le Sud-Ouest, explique que ce projet doit servir à « l’accroissement des interconnexions entre les pays européens » dans le cadre « d’une priorité fixée par l’union européenne. » « La raison essentielle de ce projet repose sur la transition énergétique : ces câbles doivent permettre de faire jouer la solidarité entre les énergies renouvelables produites dans chaque territoire », dit-il.

« Interconnexions avec l’Espagne saturées »

« Lorsque l’Espagne connaîtra un pic voire un surplus de production de ses panneaux photovoltaïques, à un moment de fort ensoleillement, il faudra pouvoir faire en sorte que la France en bénéfice également, voire d’autres pays européens puisque cela pourra aller jusqu’en Allemagne, ou ailleurs », détaille Jérôme Rieu. « A l‘inverse, quand il y aura du vent sur les côtes de la mer du Nord ou de la Manche, il faut pouvoir rapatrier cette électricité jusqu’en Espagne. »

Or, « les interconnexions avec l’Espagne sont déjà saturées, assure le délégué de RTE, et ne permettent pas de faire transférer davantage d’électricité. » Et avec une transition énergétique « qui va s’accélérer », ce sera « de plus en plus le cas. » D’où cette décision de doubler la capacité d’échange entre les deux pays, « et de passer à 5.000 MW de capacité, soit l’équivalent de cinq réacteurs nucléaires. »

Ces câbles doivent par ailleurs « concourir à une plus grande sécurité d’approvisionnement pour les deux pays. » « Par exemple, lorsque nous avons connu durant l’hiver 2022/2023 de la tension dans l’alimentation en électricité en France, nous étions contents de compter sur les importations d’autres pays, dont l’Espagne. » L’interconnexion ne sera toutefois évidemment pas réservée aux énergies renouvelables et peut permettre aussi l’échange d’électricité produite en centrale nucléaire.

A moins de 100 mètres de plusieurs maisons

Le problème, on l’a dit, est que pour éviter le Gouf de Capbreton, la ligne doit effectuer une incursion de 27 km dans les terres, au niveau des communes de Seignosse, Capbreton, Soorts-Hossegor, Labenne, Angresse et Bénesse-Maremne. C’est là qu’un collectif, Stop THT 40, s’est monté pour s’opposer au projet. Car, dit-il, « le tracé proposé passe à moins de 100 mètres de plusieurs maisons, campings, et sous des pistes cyclables, des plages, des spots de surf, ou encore des dunes protégées… » Il demande que soit évaluée une autre option : longer l’autoroute A63 jusqu’à la frontière espagnole.

Une poignée d’entre eux, baptisés « écureuils » comme les militants anti-A69 en Occitanie, sont installés depuis début janvier à cinq mètres de haut sur une plateforme en bois dans la pinède, où le tracé doit passer.

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« Cette solution le long de l’autoroute n’a pas été retenue en raison de difficultés techniques, parce qu’elle aurait dû passer sur un certain nombre de ponts et d’ouvrages d’art, ce qui n’était pas toujours possible côté espagnol » justifie Jérôme Rieu. « Par ailleurs, personne ne peut dire que réaliser une liaison de 400 km souterraine, quand bien même elle serait le long de l’autoroute, aurait eu moins d’impact. »

Danger sur la dynamique des vagues ?

C’est pourtant ce que préconise aussi Erwan Simon, de l’association France Hydrodiversité, qui a créé la première « réserve de vagues » à Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan). Il s’inquiète en effet des conséquences des travaux sous les dunes et sous la plage, ainsi qu’au fond des océans, sur les bancs de sable et l’hydrodynamisme, voire la biodiversité.

« Les vagues façonnent le paysage du littoral et oxygènent les océans, explique-t-il à 20 Minutes. Elles permettent également l’hébergement et la dispersion de la vie sous-marine. Je ne dis pas qu’il n’y aura plus de vague, mais ce chantier pourrait modifier leur déferlement. » Chaque câble sera déroulé sur le fond par un navire câblier, et « ensouillé autant que possible, à défaut recouvert si le sol est trop dur » explique RTE.

Si ce spécialiste des vagues se dit en faveur du développement des énergies décarbonées, il considère « que l’océan est un des derniers territoires sauvages. On est en train de le transformer en une espèce de vaste zone industrielle, puisque vont s’ajouter à cela des projets d’éolienne en Bretagne, en Vendée, en Charente-Maritime… »

Les travaux de construction de ce câble doivent s’achever en 2028.