Nouvel eldorado des vignerons, la Bretagne veut se faire un nom sur la carte des vins de France… en attendant son IGP
Elle nourrit selon les estimations un Français sur trois. Première région agricole pour le porc, le poulet, le lait, les œufs ou la tomate, la Bretagne est le garde-manger du pays. Pour accompagner le repas, en revanche, la région n’a pas grand-chose dans sa cave hormis de la bière, du cidre et du chouchen. Ou plutôt n’avait pas car depuis peu, les premières bouteilles de vin breton commencent discrètement à s’inviter sur les tables. Cela était interdit depuis les années 1930, mais 2016 a vu la libéralisation des droits de plantation actée par l’Union européenne. Il est donc désormais possible de vendre du vin produit sur les terres granitiques et schisteuses de l’Armorique.
Avec le réchauffement climatique, le raisin y trouve également des conditions plus favorables, faisant de la Bretagne un nouvel eldorado pour les vignerons. « On nous regarde encore bizarrement quand on dit qu’on est vigneron breton mais les choses évoluent avec toute une filière dynamique qui se met en place », souligne Romain Le Guillou, président de l’association pour la valorisation des vins de Bretagne (AVVB). Après treize années passées en Champagne, ce Breton est revenu au pays il y a quelques mois pour planter des vignes au bord de la ria d’Etel à Belz (Morbihan). Et il n’est pas le seul puisque 43 vignerons professionnels sont aujourd’hui installés dans la région, cultivant un peu plus de 110 hectares de vignes sur les quatre départements de la Bretagne administrative.
Le cap du million de bouteilles espéré pour 2030
La production reste encore confidentielle, avec une cuvée 2024 de seulement 40.000 bouteilles répartie entre les sept premiers vignerons à avoir déjà vendangé. « Il y a eu une grosse plantation de vignes en 2022, donc cela va progresser et on espère dépasser le cap du million en 2030 », assure Romain Le Guillou. Une goutte d’eau par rapport aux 900 millions de bouteilles produites chaque année dans le Bordelais ou aux 10 millions d’hectolitres qui sortent des cuves du Languedoc et du Roussillon. « Dans un marché viticole en recul, on mise avant tout sur la qualité et pas sur la quantité, prévient Loïc Fourure, viticulteur à Theix-Noyalo (Morbihan) et coprésident de l’association des vignerons bretons (AVB). On a du blanc, du rosé, un peu de bulles et des vins assez légers qui correspondent bien aux attentes du marché ».
Sauf que sur la bouteille, les consommateurs ne sauront pas que le vin qu’ils s’apprêtent à déguster a été produit en Bretagne. Faute d’Indication géographique protégée (IGP), toutes les bouteilles de vin breton sont en effet vendues sous la banale appellation « Vin de France », bien moins vendeuse que « Vin de Bretagne » ou « Produit en Bretagne ». « C’est très frustrant de ne pas pouvoir notifier et revendiquer notre territoire sur l’étiquette », assure Julien Lefevre, viticulteur à Merléac (Côtes-d’Armor) et coprésident également de l’AVB. D’où la démarche initiée il y a quelques jours pour décrocher le fameux sésame et rejoindre la liste des 75 zones de production viticole bénéficiant d’une IGP. « On porte un projet d’IGP 100 % bio en plus, ce qui serait une première », souligne Romain Le Guillou.
Cinq ans au minimum pour décrocher l’IGP
Avant de pouvoir afficher fièrement un Gwenn ha Du sur leurs bouteilles, les vignerons bretons vont devoir établir un cahier des charges qu’ils veulent « exigeant » afin de déposer un dossier qui sera examiné par l’Institut national de l’origine et de la qualité. « On sait que cela va prendre du temps, on se donne cinq ans pour la décrocher », indique Julien Lefevre, estimant que cette IGP offrira « une meilleure reconnaissance » au vin breton et lui permettra de se distinguer dans un secteur viticole très concurrentiel.
Du côté du syndicat des vignerons bretons (SVB), qui réunit des vignerons du pays nantais, on s’étonne de ne pas être associé à la démarche alors que « le syndicat a été l’initiateur du projet IGP Bretagne ». « Le SVB restera intransigeant sur le fait que l’aire géographique soit ouverte au territoire historique de la Bretagne dans son ensemble, les cinq départements bretons dont la Loire-Atlantique », prévient son président, Maxime Chéneau.
Sur cette question, l’AVVB assure être « ouverte à la discussion » tout en émettant quelques réserves. « La question est complexe et d’ordre plus culturel, et nous n’avons pas vocation à définir ce qu’est la Bretagne », assure Romain Le Guillou. En rappelant qu’il existe déjà une IGP Val de Loire qui englobe toute la Loire-Atlantique, et qu’il ne faut pas que « l’une empiète sur l’autre ».
* Il est toujours bon de rappeler que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. On consommera donc le vin breton avec modération.