Nouvel An : Le bilan des voitures brûlées, une communication politique utile ou opportuniste ?
La Nuit de la Saint-Sylvestre, ses repas de fête, ses feux d’artifice… Et ses voitures calcinées. Depuis au moins quatre décennies, faire brûler des voitures pour démarrer l’année s’est invité au rang des traditions françaises.
A tel point que les autorités ont pris l’habitude de dévoiler le nombre de ces délits chaque premier de l’an. Le cru 2024-2025 émarge à « 984 véhicules incendiés », un décompte que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a « choisi » de révéler car il s’est « engagé à parler vrai aux Français ». Une communication qui peut questionner, tant la catégorie de ce délit semble spécifique en comparaison aux grandes familles des infractions (cambriolages, atteintes aux personnes etc.).
Constater ces méfaits est plutôt positif, note Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur du livre ‘La police contre la rue’ (éditions Grasset). « En France, on observe une transparence partielle en matière de communication des chiffres relatifs aux infractions. Les crimes et délits sont publiés depuis 1972, et sous une forme plus détaillée depuis 2007 ».
Des chiffres pas toujours évoqués pour ne pas créer de « palmarès »
Car si les chiffres sont révélés à l’échelle nationale depuis plusieurs années, ça n’a pas toujours été le cas. « Pendant toute une période, Beauvau ne communiquait plus sur la question, note Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au CESDIP, spécialiste des questions de sécurité intérieure. L’idée était qu’en révélant le nombre de ces infractions, cela inciterait les auteurs à la surenchère. Mais ce postulat est difficile à vérifier, aucune étude n’en a parlé ».
Beauvau avait par exemple évité de communiquer sur ce thème en 2011 et 2012, comme le rappelle une note de la fondation Jean Jaurès. A l’époque, le ministère avait jugé qu’il était « nécessaire de mettre fin à un palmarès aussi stupide que dangereux et à une tradition malsaine consistant à valoriser, chaque année à la même époque, des actes criminels ».
Cette parenthèse passée, la communication des bilans de la nuit du Saint-Sylvestre a repris, avec des pics (près de 1.500 voitures brûlées en 2019) et des creux (804 en 2016).
Si les cacher avait été critiqué, évoquer publiquement ces chiffres peut aider à la réalisation de l’agenda politique du ministre. L’an dernier, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, s’était empressé de communiquer sur les chiffres en baisse… Dans l’attente des chiffres définitifs qui annonçaient eux une hausse, comme l’a rappelé La Voix du Nord.
Le bilan des voitures brûlées, levier de com’ politique ?
Cette année, une hausse de plus de 32 % a été constatée par rapport à l’an dernier. Pas vraiment l’occasion de capitaliser dessus, quoique. « Bruno Retailleau a endossé ce bilan, même négatif, parce qu’il veut consolider l’image qu’il veut donner, relève Mathieu Zagrodzki. Celle d’un politique qui décrirait les phénomènes de société tels qu’ils sont, sans les édulcorer ».
Dresser ce bilan peut donc s’avérer être un levier de communication efficace. « Le ministre, ce qui l’intéresse c’est d’aller parler aux journalistes et de faire des annonces. Il insiste sur la mobilisation de milliers de forces de l’ordre, et sur la réalisation d’interpellations », analyse Sebastian Roché.
Des effets d’annonce, un déploiement d’effectifs importants… Sans se préoccuper des causes plus profondes de ce phénomène récurrent ? Pour le cadre du parti Les Républicains, ces feux de la Saint-Sylvestre seraient « le produit d’un ensauvagement incarné par des lâches, des voyous qui s’en prennent aux biens des Français souvent modestes ».
Une explication battue en brèche par notre spécialiste, qui pointe chez les autorités un « manque de volonté politique » et une « incapacité technique » à transformer les chiffres bruts en analyse détaillée.
« C’est la différence entre un tableau de bord et une évaluation, image Sebastian Roché. Un tableau de bord, ça vous dit la vitesse à laquelle vous roulez, mais ça ne vous dit rien de l’efficience de votre véhicule. Le phénomène ne peut pas être réduit s’il n’est pas compris ».