France

Notre-Dame de Bétharram : « C’est un dossier unique en France, au regard du nombre d’agresseurs »

L’affaire Notre-Dame de Bétharram a connu un nouveau rebondissement mercredi. Le maire de Pau et désormais Premier ministre, François Bayrou, était-il au courant des violences physiques et sexuelles qui auraient été commises au sein de l’institut religieux des Pyrénées-Atlantiques ? Alors qu’il jurait depuis plusieurs mois ne rien en savoir, Mediapart a publié plusieurs témoignages affirmant l’inverse.

Interrogé par 20 Minutes, le lanceur d’alerte Alain Esquerre regrette ce « déni » de la part de l’ancien ministre de l’Education nationale. Cet homme d’une cinquantaine d’années est à l’origine du « scandale de Notre-Dame de Bétharram », établissement scolaire catholique qui aurait abrité durant une cinquantaine d’années des cas de violences physiques, sexuelles, et de viols, de la part de surveillants et de prêtres, sur des enfants et des adolescents. Il avait créé un collectif d’anciens élèves de Bétharram sur Facebook en octobre 2023, pour tenter de libérer la parole. Il ne se doutait pas qu’il allait ouvrir la boîte de Pandore.

Au bout de quelques semaines, Alain Esquerre, lui-même victime de violences physiques au sein de l’établissement dans les années 1980, recueille plusieurs témoignages édifiants, et décide de les regrouper pour constituer un dossier pénal, qu’il dépose au parquet de Pau début 2024. Une enquête préliminaire est ouverte le 31 janvier 2024, après le dépôt de vingt premières plaintes. D’autres suivront, montrant que la période s’étale des années 1950, jusqu’au début des années 2010 pour les faits les plus récents. Le retentissement est énorme.

La CRR (Commission Reconnaissance et Réparation), créée pour « reconnaître et réparer les personnes victimes de violences sexuelles présumées commises par des membres d’instituts religieux » est parallèlement saisie par plusieurs victimes de violences sexuelles, pour des demandes d’indemnisation.

Un an après la révélation de l’affaire au grand jour, 20 Minutes a interrogé Alain Esquerre.

Un an après les premières plaintes, où en est l’enquête ?

Toutes les auditions de victimes sont terminées. J’attends les mises en examen et la désignation d’un juge d’instruction [contacté par 20 Minutes, le parquet de Pau a indiqué qu’il communiquerait sur l’affaire ultérieurement].

A combien de plaintes en est-on aujourd’hui ?

Nous en sommes à 112, pour 14 agresseurs adultes identifiés. Je pense que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, mais un certain nombre de personnes se disent certainement que tout cela est désormais prescrit, et qu’il n’y aura peut-être jamais de procès. D’autres ne veulent pas parler parce que c’est trop douloureux. C’est pourquoi je pense qu’un nouveau déclenchement de plaintes ne sera désormais possible, que lorsqu’une information judiciaire sera ouverte. Ces personnes seront alors rassurées de voir que leur parole est reconnue par l’institution judiciaire.

Comment vivez-vous depuis un an avec cette affaire, qui a pris une très grande ampleur médiatique ?

C’est un dossier unique en France, au regard du nombre d’agresseurs. Il y a un an, j’étais très loin d’imaginer un scandale de cette ampleur, sinon jamais je n’aurais mis un pied là-dedans. Parfois je me sens dépassé. Mais à partir du moment où des victimes se sont signalées auprès de moi, c’était mon devoir de citoyen de les accompagner.

Craignez-vous qu’il n’y ait pas de procès ?

Non. La responsabilité de l’établissement est mise en cause sur 50 ans, certaines auditions ont duré plus de sept heures, des victimes ont été rappelées plusieurs fois pour approfondir leurs témoignages… Ce n’est pas possible que cela ne débouche pas sur un procès. Le dossier est sérieux.

Où en est-on des indemnisations de victimes par la Commission Reconnaissance et Réparation ?

Nous en sommes à une quinzaine de victimes indemnisées, qui ont touché entre 10.000 et 50.000 euros chacune. Pour le moment, seules les victimes de violences sexuelles, commises par des prêtres, peuvent prétendre à une indemnisation, ce que je regrette. Les victimes de violences physiques, et de violences sexuelles commises par des laïcs, sont exclues de cette procédure. Ce n’est pas normal que les victimes de violences physiques, d’humiliations, au regard des traumatismes qu’elles ont subies, ne reçoivent rien du tout. Même si je ne crois pas que ce dossier soit une affaire d’argent. J’ai des victimes qui ne veulent pas du tout d’argent, mais souhaitent uniquement que les prêtres reconnaissent leur responsabilité.

A l’inverse, craignez-vous que cette démarche ne vienne perturber l’enquête, voire qu’elle suscite de faux témoignages ?

C’est un risque. Il peut effectivement y avoir des victimes qui se contentent d’un chèque, et se disent que ce n’est pas utile d’aller au pénal. L’autre crainte, c’est que, bien que tout soit mis en œuvre pour recouper les faits, cela incite à dire des choses qui n’ont pas été commises, pour avoir droit à une indemnisation. Mais je pense que ces cas de figure, s’ils existent, sont marginaux, et je ne crois pas du tout au faux témoignage de bout en bout.

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Êtes-vous satisfait de la libération de la parole dans cette affaire ?

Oui, même si cela reste poussif. Les gens se retiennent. On le voit dans le dossier de l’abbé Pierre également. Disons que c’est un début. En tant que victimes, on voudrait que cela aille plus vite, mais il faut aussi regarder ce qui est positif. Ce mécanisme d’indemnisation des victimes, par exemple, a tout de même le mérite d’exister, et ce n’est pas rien.