France

Nord : « On garde notre chez-nous »… Les ouvriers de Tereos occupent la sucrerie depuis l’annonce de la fermeture

Attablée à l’abri du vent et de la pluie, la bonne humeur reste au rendez-vous. Mais derrière les sourires se lit tout de même l’inquiétude. Pour les salariés de la sucrerie Tereos, d’Escaudœuvres, près de Cambrai, dans le Nord, l’avenir s’est brutalement assombri le 9 mars. « A 10h », précise Loïc, qui n’a pas oublié l’heure de l’annonce. Ce matin-là, les dirigeants de l’usine ont annoncé à leurs 153 employés que le géant de l’agroalimentaire fermait définitivement le site. Seule une vingtaine de personnes devaient rester en poste pour s’occuper de l’entretien de l’ancien outil de production.

Mais, depuis cette annonce, syndicats et salariés ont organisé la riposte. L’entrée du site est gardée, jour et nuit, par une poignée de volontaires qui se relaient, selon un calendrier bien établi. « On va rester jusqu’à la fin du plan social, programmé le 17 juin. Nous, on ne demande qu’à travailler », souligne Alain*. « On garde notre chez-nous avec un œil vigilant », renchérit son collègue, avec un sourire.

« L’important, c’est de garder la motivation »

A l’entrée de l’immense site devenu silencieux, deux tentes ont été installées. La première appartient à la mairie, la seconde a été prêtée par les collègues de la sucrerie de Boiry-Sainte-Rictrude, dans le Pas-de-Calais. « On joue à la belote ou à la pétanque, quand le temps le permet. L’important, c’est de garder la motivation », glisse Pierre*, en tenue de travail.

Ce vendredi, leurs représentants ont eu l’occasion de rencontrer, une nouvelle fois, le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, qui se rendait à Cambrai pour évoquer l’avenir de Tereos. Étaient aussi conviés les élus locaux, mais aussi les délégués de Buitoni. Depuis jeudi, l’usine qui fabriquait des pizzas pour le compte de Nestlé, connaît le même destin que la sucrerie d’Escaudœuvres. Le scandale des pizzas contaminées, il y a un an, a servi d’argument pour arrêter définitivement la production et mettre un terme au contrat de 150 salariés, là-bas aussi.

Comme chez Buitoni, c’est l’incompréhension qui prédomine au sein du petit groupe de sept personnes. Pourquoi cette fermeture ? Peu bavards, certains refont tout de même le chemin quand on insiste un peu. « L’achat d’une chaudière à gaz qui a coûté 24 millions d’euros était peut-être un mauvais choix, au mauvais moment, s’interroge Jean*, un cadre en colère. Il aurait peut-être fallu investir sur les économies d’énergie. On paie la négligence de nos dirigeants. »

Des festivités annulées

« Ce qui me fait peur, avoue-t-il. C’est que si nous, on ferme, on ne sera malheureusement pas les derniers à le faire. » La fin de l’économie sucrière ? A Escaudœuvres, 2.000 tonnes de sucre étaient produites par jour pendant ce qu’on appelait la campane des betteraves, entre octobre et janvier. A 1.000 euros, la tonne, ça donne une idée du chiffre d’affaires. Et pourtant, Tereos considère que ce site historique n’est plus rentable.

En cause notamment, la baisse de l’emblavement (acte de semer) des betteraves, à hauteur de 10 %, selon la direction. « Cette baisse se fait plutôt sentir dans la Marne que chez nous. Ce n’est pas logique, conteste Jean. D’autant qu’en février, la boîte recrutait encore du personnel. »

Et que des festivités étaient prêtes pour célébrer le 150e anniversaire de l’usine, le week-end du 18 et 19 mars, seulement dix jours après l’annonce de la fermeture. « Une course devait être organisée au cœur de l’usine, elle a été remplacée par une marche pour l’emploi », explique Christophe*, dépité.

Stocks de sucre et de sirop

« Tout le monde a été pris de court. Ce qui nous remonte le moral, c’est la solidarité. Les collègues de Boiry ont fait grève pour nous soutenir. Les gens nous apportent à manger, à boire. Ils ont trop connu cette usine », indique Jean*. Quelques jours après l’annonce, ils étaient 400 à venir soutenir les salariés devant l’usine.

Pour Pierre*, 9 ans d’ancienneté, cette fermeture est vécue comme un coup de massue. « C’est difficile de perdre son emploi. J’ai un enfant de 10 mois. Je pensais faire ma carrière ici. Je n’aurais jamais cru que ça puisse fermer », affirme-t-il. Comme ses collègues, il espère désormais que la pression permettra de bonnes conditions de départ.

Car l’occupation de l’usine, c’est aussi une sorte de mise sous séquestre des stocks de sucre et de sirop dans les silos. « C’est de l’or blanc qui peut servir dans les négociations », se persuade Michel*. Histoire d’y croire encore un peu. Même si le père Noël est une figure inhabituelle pour ces ouvriers. « Vous savez, assure l’un d’eux. A cause de la campagne des betteraves à assurer, on faisait environ un Noël en famille tous les huit ans. »

*Les prénoms ont été modifiés.